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décoration prestigieuse. Des forêts de palmiers aux tiges droites comme des colonnes, aux chapiteaux uniformes, figuraient par leurs quinconces symétriques l’immensité d’un temple prolongé sans fin : parfois un rayon de soleil, perçant le toit de feuillage, projetait sa clarté sous les ombreuses arcades comme une lampe suspendue à la voûte du sanctuaire ; et quand venaient à passer des femmes aux jambes cuivrées, aux tuniques d’azur, les bras arrondis comme l’anse de l’urne qu’elles portaient sur leur tête, on eût dit les idoles du temple, animées par un souffle magique et descendues de leur piédestal pour errer dans ces longues galeries.

C’est lorsque le regard du voyageur s’est long-temps arrêté sur ces tableaux divers, que sa pensée se reporte aux destinées du Nil et à la série de travaux par lesquels l’histoire de ce fleuve se rattache aux annales de l’humanité.

En parcourant la vallée du Nil, on conçoit qu’elle dut être le berceau des sociétés, parce qu’elle leur offrit d’abord la retraite la plus sûre et l’établissement le plus facile. Quand la terre ruisselante encore des eaux qui rentraient dans ses abîmes, encore hérissée des volcans qui déchiraient son enveloppe nouvelle, en un mot encore agitée des spasmes nerveux qui avaient déterminé sa dernière transformation, quand la terre vit apparaître l’homme, son seigneur, son hôte chéri, le roi, l’époux désiré que Dieu lui envoyait enfin pour prix de tant d’efforts, elle voulut l’abriter dans un asile à part contre les dangers qui menaçaient sa frêle organisation. Elle fit alors jaillir des montagnes de l’Afrique, qu’on a justement nommées l’épine du monde, un large fleuve qui traversa tout le continent comme une artère vivifiante. Ce ne fut point assez de le grossir par de nombreux affluens : elle creusa sur les sommets où il prenait sa source des lacs profonds, et elle imprima au vent d’hiver une direction constante du nord au midi, pour que toutes les vapeurs émanées des autres contrées fussent versées dans ces réservoirs du fleuve, et que le fleuve, par ses inondations régulières, rajeunît tous les ans ses bords en les couvrant d’une humus choisi. Elle étendit de l’orient à l’occident d’immenses déserts de sables arides et d’air brûlant, afin que les vents qui traverseraient dans sa largueur la contrée prédestinée ne