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cherait la liberté dans la vie privée, dans la peinture des mœurs, dans le développement des passions ? Mais le roman, cette épopée individuelle, suivant la parole de Goëthe, a surtout pour objet et pour devoir de mettre en lumière les désirs et les douleurs de la société, ses rêves, ses fantaisies, jusqu’à ses pensées coupables. Pendant que l’histoire dans sa majesté ne prend de l’humanité que les grandes lignes et les grandes actions, et s’attache à peupler les fastes du monde de monumens et de statues d’une immortelle simplicité, le roman dépouille l’homme, le met à nu dans ses faiblesses, ses vices, ses erreurs ; par sa franchise, il prépare l’œuvre future du législateur ; en indiquant la plaie, il appelle le remède : il charme, il épouvante, il corrige. Littérature presque inconnue aux anciens, le roman tient à l’intimité de la vie moderne, et, s’insinuant dans les ames, il se fait le précurseur des innovations, des réformes et des lois.

Que de jeunes esprit s’enflamment aujourd’hui pour le théâtre ! un instinct irrésistible les pousse à renouveler les représentations du passé et les scènes de la vie dans l’intérêt de l’avenir. L’art de jour en jour rompt tout pacte avec cet athéisme social qui voudrait faire de la muse divine une courtisane n’ayant pour but qu’un stérile plaisir. Notre siècle ne consentirait pas volontiers à se passer de l’originalité et de la gloire d’un théâtre qui lui appartienne, et il adresse à nos artistes les plus impérieuses provocations. Au surplus, où l’art dramatique a-t-il poussé de plus profondes racines que dans la patrie de Corneille et de Talma ? Où a-t-il plus d’alimens que dans cette société si forte, si variée, si mobile, où tout est remué pour être fécondé ? mais aussi, comment sans la liberté construire le drame, comment donner la vie ? Aristophanes veut peindre la société d’Athènes, les femmes, la jeunesse, les démagogues : attachez un censeur à ses pas, l’homme le plus spirituel de l’Attique en devient le plus insignifiant et le plus froid. Désormais on administrera le rire et la gaieté de la France ; on mesurera ses émotions ; elle ne pourra s’apitoyer et s’épouvanter au théâtre que dans des proportions convenables, et le ministère rédigera le bulletin, non pas de nos victoires, mais de nos plaisirs.

Ce serait une triste entreprise du législateur que d’entrer en