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DE LA RÉACTION CONTRE LES IDÉES.

Ainsi, de l’aveu de tous, nous jouissons aujourd’hui de peu de liberté. Depuis cinq ans la cause démocratique est tombée de chute en chute à l’état que nous voyons. Des esprits courts et des cœurs timides en concluront qu’elle est mauvaise et qu’il faut la quitter. Des intelligences plus fermes et des ames plus dévouées penseront qu’il faut réparer les malheurs et les fautes, et ne désespérer ni de l’avenir du monde, ni de la dignité de l’homme et du genre humain.

La situation est décisive. Il s’agit de savoir, si, suivant la parole de Brutus, la vertu n’est qu’un mot, si tout ce que les hommes ont respecté jusqu’à présent, la liberté politique, la gloire de la patrie, la grandeur de la nature humaine, sont des mots vides, des sons trompeurs, des jouets misérables, si le peuple est un ilote éternel.

Comme nous croyons aux droits de la démocratie, nous croyons aussi à ses devoirs. Or, la démocratie, pas plus qu’aucune puissance du monde, ne saurait se soustraire aux conditions de la vie ; elle ne peut se dispenser de la patience, de la modestie et de l’habileté. Ni la théocratie ni l’aristocratie ne sont arrivées à l’empire du premier bond ; elles ont travaillé ; elles ont attendu ; elles ont duré sous l’épreuve des difficultés et des revers. Je veux réformer la Russie, et je ne peux pas me réformer moi-même ! s’écriait Pierre dans la confusion de ses emportemens. Ce grand homme, moitié barbare, moitié civilisé et civilisateur, est l’image fidèle du peuple s’agitant dans une ignorance qui diminue tous les jours, et dans une grandeur qui cherche à s’établir et à se compléter.

Contemplons l’Angleterre. Là rien ne se précipite ; rien n’est espéré avant le temps. Le peuple se résigne à des ajournemens, se discipline sous des chefs, se tait et parle à propos. Les chefs s’entendent et se soutiennent ; l’un respecte l’autre dans son degré de popularité et dans sa situation politique. O’Connell ne dresse pas d’embûches à lord Russel. Là on ne se sépare pas pour des mots : là aussi on prend appui dans la légalité et la constitution pour réformer la constitution et la légalité ; on sait se conduire enfin, car on ne sépare pas l’habileté du patriotisme.

Ici, en France, la presse même mutilée est notre premier refuge et notre meilleure sauvegarde ; elle s’est proclamée reine du