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POÉSIES POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

(Pierre du bois de la mer), beau jeune homme, tout triste et tout pâle de son génie, qui n’avait pu se faire prêtre parce qu’il était serf, et qui jetait sa douleur dans des sones qui faisaient pleurer les jeunes filles aux veillées. L’autre, déjà vieux, portait un costume si particulier, qu’il mérite une courte description. Une longue robe arménienne, faite de gros drap et doublée de peaux de lapins, l’enveloppait tout entier. Il avait pour coiffure une toque également garnie de fourrures, et sa longue barbe blanche descendait jusqu’à sa poitrine. De sa poche sortait à demi une longue écritoire, et à sa ceinture était suspendu un livre à couverture de bois et à garniture de fer, sur lequel était gravé le cachet distinctif adopté par lui et qui était un Saturne armé de sa faulx, avec cette légende : Virtus hanc aciem retundit. À ces signes, il était facile de reconnaître Jacques Colinée, élève du célèbre Henri Étienne, et l’inventeur des lettres italiques. C’était le maître es art d’impression de la cité de Loudéac, et le livre qu’il portait à sa ceinture était le fameux Testament grec in-8o, dont il avait lui-même gravé et fondu les caractères, qu’il avait composé, imprimé, corrigé, annoté et broché ; car, à cette époque, l’imprimerie n’était pas seulement une industrie : c’était, à la fois, un art, un métier, une science. Il fallait réunir, dans sa seule personne, l’érudition de dix de nos savans, l’adresse de cent de nos ouvriers. Aussi était-ce plus qu’une profession, c’était comme un sacerdoce, comme une franc-maçonnerie ; quelque chose de mystérieux et d’effrayant pour le vulgaire, qui, ne pouvant comprendre tant de patience, de travail, d’intelligence, criait à la sorcellerie, en se signant, épouvanté, devant le noir appareil de Guttenberg.

Enfin, plus bas que les quatre personnages dont nous venons de parler, sur un escabeau à trois pieds, un idiot était accroupi dans l’attitude ramassée et tout animale particulière aux êtres atteints d’une débilité mentale. Les traits d’Olier Morvan n’étaient point ceux qui caractérisent une imbécillité native. À ce front chauve et ouvert, à cette tête amincie vers la partie postérieure, à ces yeux dilatés, mais longs et délicats, à cette régularité affaissée de tous les muscles de la face, il était facile de reconnaître une de ces natures coulées dans un beau moule, mais manquées à la fonte, et n’en sortant qu’à demi modelées, avec d’admirables lignes subitement interrompues, de merveilleuses expressions à demi altérées. Morvan, en effet, était tombé dans la vie, tout calciné de passions, et brûlant comme un métal en fusion ; mais, pour n’avoir point rencontré le bon côté du moule, il s’était trouvé faussé, et était devenu ce je ne sais quoi, tenant le milieu entre l’homme de génie et l’idiot ; ce type à moitié effacé, qui faisait mal à voir et jetait l’esprit dans une sorte d’inquiétude incertaine. Il avait voulu d’abord entrer dans les ordres, mais