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LE PARLEMENT ANGLAIS.

La longue figure brune, impassible, de lord Auckland ne se produit pas fréquemment au bureau ; il faut qu’il soit question des choses de l’amirauté, dont il est le premier lord, pour qu’il risque quelques paroles honteuses touchant son département. Lord Glenelg, pair de toute fraîche date, ne se jettera pas non plus volontiers à travers la mêlée, si ses colonies ne sont point mises en jeu. Lord Glenelg a pourtant eu ses jours de faconde ; il valait mieux aux communes lorsqu’il était M. Grant seulement. Certes, ce n’est plus un jeune homme, tous ses cheveux ont blanchi ; mais il est plus vieux que son âge : c’est un homme radicalement épuisé corps et ame ; il est, assure-t-on, du nombre des sensualistes mystiques qui sacrifient la vie réelle aux rêves exaltés et mystérieux que l’opium enfante.

Une énorme tête ronde pâle et chauve, avec de grands yeux noirs et de gros favoris blancs, sur de larges épaules, voilà tout ce qui reste de lord Holland, le neveu de Fox, qui fut jadis orateur habile de l’école de son oncle, et passable écrivain. Du surplus de son corps, à peine en est-il question ; la goutte le lui a mangé peu à peu ; il finit absolument comme un poisson. Ce n’est qu’à force de temps et de labeur que ses deux béquilles le transportent au bout de la banquette, où il s’assied vis-à-vis de lord Melbourne. D’ailleurs sa chancellerie du duché de Lancastre ne lui est pas tant une sinécure qu’on le veut bien dire ; il soutient ses collègues de toute la vigueur de ses poumons, sinon de sa parole. C’est lui qui s’est chargé de l’approbation de leurs discours, et il s’acquitte de cette besogne en conscience, car il fait plus de bruit admiratif et de hear enthousiastes, à lui seul, que tout le côté whig ensemble. C’est plaisir de voir ce tronçon d’homme se démener, criant à tue-tête ; on dirait ce joujou chinois figurant un gros rieur, qui se balance indéfiniment en se tenant les côtes.

L’histoire littéraire tiendra compte à lord Holland de son livre sur la vie de Lope de Vega ; mais cet ouvrage rappelle un trait de celle du noble lord, qui honore plus sa politesse que sa générosité. En 1832, un pauvre réfugié espagnol, qui n’avait pour tout trésor que trois comédies inédites et manuscrites du célèbre poète castillan, eut l’idée de venir à Londres pour les vendre à l’illustre commentateur whig, qui devait naturellement mettre plus de prix que personne à leur valeur. Toutefois, en présence du grand seigneur, le timide émigré n’osa parler de marché ; il offrit tout simplement ses trois précieuses pièces. La visite et l’hommage furent fort gracieusement acceptés, et en échange de l’un et l’autre, l’étranger reçut le lendemain la carte de lord Holland et un exemplaire de la vie de Lope de Vega. Il y a