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LE PARLEMENT ANGLAIS.

ni Dieu ni diable, et n’adorait que la table et les débauches. Mais au milieu d’une de ses nuits de débordement, il eut une vision assez semblable à celle qui cria à Swedenbourg : — Tu manges trop. Dès ce moment, docile au conseil suprême, le comte Roden réforma sa chère et ses mœurs déréglées, et il est devenu peu à peu le prédicateur évangélique et politique qu’il est aujourd’hui. D’ailleurs, cette conversion ne l’a nullement fait maigrir ; sa nouvelle piété ne l’empêche pas d’être un orangiste furibond, tout prêt, si on le laissait faire, à sacrifier à son roi une magnifique hécatombe de catholiques irlandais.

Traversons la salle à présent en donnant un coup d’œil aux bancs rangés devant la barre, qui font face au trône. Ce sont les bancs dits indépendans. La plupart des pairs que vous y voyez assis ont été ministres. Le plus grand, par la taille et par la renommée, c’est lord Grey. Comme sa longue personne est mince, frêle et voûtée ! Après ses soixante-dix ans passés, il n’a pu tenir aux affaires davantage ; la force lui a manqué pour supporter plus long-temps la lourde entreprise des réformes. Il a remis lui-même le fardeau sur les épaules qu’il avait habituées à le porter ; puis il a définitivement résigné le pouvoir et la parole. Qu’il ait sa justice de son vivant ; il a été homme d’état vaillant et loyal ; une fois le gouvernail aux mains, il a conduit le navire dans la route qu’il conseillait depuis trente ans. Il n’a pas misérablement trahi ses promesses et son passé, comme ces parjures administrateurs d’origine révolutionnaire que vous a valus en France votre révolution glorieusement inutile de juillet. Il est le premier whig qui ait osé agir conséquemment selon ses principes. Certes, il ne lui fallait pas une médiocre détermination pour ouvrir aux réformes cette large porte qu’il savait ne devoir point se refermer.

Ce n’était pas non plus un orateur indifférent. On se souvient de la force que lui donnait sa parole digne, convaincue et pénétrante ; son air de véritable grand seigneur ajoutait encore à son autorité. La noble affabilité de ses manières rappelle beaucoup votre vieux duc de Montmorency-Laval. Il y a cette différence entre eux, que lord Grey n’a pas fait son ministère uniquement avec de belles façons, comme ses ambassades le ci-devant plénipotentiaire de Charles x à Vienne.

Cet autre lord de grosse mine, encore vert et blond, c’est le comte Ripon, plus politiquement connu sous son second titre de vicomte Goderich. Lui aussi, il s’est hissé un moment jusqu’au sommet de l’échelle ministérielle ; mais il ne semble pas qu’il ait pris son parti de demeurer dans la vie privée où son incapacité l’a fait redescendre. Toutefois, s’il aspire à remonter, il ne suit pas la route qui convient ; ce