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argumentation. C’est grande pitié vraiment que la longue expérience des barreaux et des parlemens n’ait pas appris la modération à un esprit de cette trempe. Il s’était saisi d’un sarcasme acéré ; voici qu’il l’émousse à force de s’en escrimer. Il avait parfaitement établi l’inexpugnable solidité d’un argument ; il va le renverser lui-même, tant il en bâtira d’autres par-dessus ; et c’est ainsi que son indiscrétion gâte les meilleures causes et ses discours les plus beaux ; aéronaute imprudent, il crève ses ballons et tombe avec eux pour les avoir trop emplis. Nous qui écoutons, nous voulons bien être convaincus par un raisonnement et sourire à une ironie ; mais nous savons comprendre à demi-mot. Vous nous humiliez à commenter démesurément chaque chose. Plus vous persistez, plus nous nous lassons. Votre obstination à douter de notre intelligence nous blesse et nous irrite.

Cet excès de pédantisme est le principal défaut oratoire de lord Brougham. On a bien eu raison de l’appeler le maître d’école. Je ne nie point ses immenses qualités de raisonneur savant, infatigable et caustique ; mais ses développemens exagérés sont hors de toute proportion, surtout à la chambre des lords, qui traite les questions sommairement et un peu selon les réserves des salons. C’est n’avoir nul tact que de ne point s’approprier avant tout à son auditoire. La manière de Henry Brougham convenait mieux aux communes, où les débats ont plus de largeur, où l’on est moins pressé d’en finir ; encore y était-il resté bien avocat. Il ne s’est jamais défait de ces furieux emportemens comiques de la robe, qui tonnent et tempêtent en citant une date ou un article de loi. Sans doute que ses harangues le fatiguent autant qu’elles lassent ceux qui les écoutent ; il n’y épargne pas au moins son corps, il crie et gesticule sans pitié de lui-même ; il se ploie et se tord comme un équilibriste ; il danse et rebondit avec ses phrases ; il transpire et s’échauffe beaucoup : mais il me laisse glacé, ce n’est pas là l’éloquence qui m’enflamme le sang.

Je jugerais chez lord Brougham plus sévèrement encore l’écrivain que l’orateur ; car lord Brougham est écrivain aussi, et beaucoup trop écrivain. Cette funeste activité qui le possède, le pousse incessamment à emplir les revues de ses essais économiques, politiques, scientifiques, historiques, théologiques, à entasser brochure sur brochure ; s’il y mettait un peu de style fait et d’idées neuves, ce serait demi-mal ; mais c’est toujours la même fluidité excessive de paroles, et sur le papier, d’où il ne se peut rien évaporer, elle est plus intolérable. Bien que ce n’ait point été de sa part spéculation intéressée, je ne lui pardonne pas non plus d’être le père de cette lépreuse littérature à bon marché,