Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/749

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
741
FRAGMENT D’UN LIVRE À PUBLIER.

l’espérance et l’amour, la vigne et le soleil, l’azur et la beauté ! Sans doute vous connaissiez la vie, et sans doute vous aviez souffert ; et le monde croulait autour de vous, et vous pleuriez sur ses ruines, et vous désespériez ; et vos maîtresses vous avaient trahis, et vos amis calomniés, et vos compatriotes méconnus ; et vous aviez le vide dans le cœur, la mort devant les yeux, et vous étiez des colosses de douleur. Mais dites-moi, vous, noble Goëthe, n’y avait-il plus de voix consolatrice dans le murmure religieux de vos vieilles forêts d’Allemagne ? Vous pour qui la belle poésie était la sœur de la science, ne pouvaient-elles à elles deux trouver dans l’immortelle nature une plante salutaire pour le cœur de leur favori ? Vous qui étiez un panthéiste, un poète antique de la Grèce, un amant des formes sacrées, ne pouviez-vous mettre un peu de miel dans ces beaux vases que vous saviez faire, vous qui n’aviez qu’à sourire et à laisser les abeilles vous venir sur les lèvres ? Et toi, et toi, Byron, n’avais-tu pas près de Ravennes, sous tes orangers d’Italie, sous ton beau ciel vénitien, près de ta chère Adriatique, n’avais-tu pas ta bien-aimée ? Dieu : moi qui te parle, et qui ne suis qu’un faible enfant, j’ai connu peut-être des maux que tu n’as pas soufferts, et cependant je crois encore à l’espérance, et cependant je bénis Dieu.

Quand les idées anglaises et allemandes passèrent ainsi sur nos têtes, ce fut comme un dégoût morne et silencieux, suivi d’une convulsion terrible. Car formuler des idées générales, c’est changer le salpêtre en poudre, et la cervelle homérique du grand Goëthe avait sucé, comme un alambic, toute la liqueur du fruit défendu. Ceux qui ne le lurent pas alors crurent n’en rien savoir. Pauvres créatures ! l’explosion les emporta comme des grains de poussière dans l’abîme du doute universel.

Ce fut comme une dénégation de toutes choses du ciel et de la terre, qu’on peut nommer désenchantement, ou, si l’on veut, désespérance ; comme si l’humanité en léthargie avait été crue morte par ceux qui lui tâtaient le pouls. De même que ce soldat à qui l’on demanda jadis : À quoi crois-tu ? et qui le premier répondit : À moi ; ainsi la jeunesse de France, entendant cette question, répondit la première : À rien.