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REVUE. — CHRONIQUE.

que de vouloir arracher à une grande nation les lois et les garanties sociales pour lesquelles elle a versé son sang ; et le ministère actuel verra, déjà peut-être dans la session prochaine, que des mains aussi faibles que les siennes, toutes hardies qu’elles sont, ne sauraient l’exécuter.

L’orgie politique que le pays semble regarder avec un étonnement précurseur de l’indignation, vient à peine de commencer. Mais voyez déjà quels pas elle a faits ! Cherchez un pouvoir qui ait été respecté par ceux qui se nomment le pouvoir, un corps de l’état dont ils aient ménagé la dignité depuis qu’ils se croient les maîtres de disposer à leur gré de toutes les forces de la France. On sait avec quelle brutalité M. Thiers traitait les députés ministériels qui doutaient de l’excellence de ses lois ? C’est à la chambre des pairs maintenant de subir le joug qu’on veut faire peser indistinctement partout. À peine vient-on de lui imposer la nécessité de voter des lois sans les amender (et quelle plus mortelle atteinte peut être portée à la liberté de discussion ?), que pour la récompenser de la presque unanimité de son vote, on procède à une nouvelle nomination de pairs. Jusqu’à ce jour, en saine politique, on ne recourait à une telle mesure que par nécessité ; une création de nouveaux pairs s’expliquait, soit par le besoin de renforcer une majorité douteuse, soit par l’obligation où se trouvait un ministère de récompenser des dévouemens qui menaçaient de s’affaiblir. Aujourd’hui on crée des pairs pour créer des pairs ; c’est une sorte de déclaration tacite, de réponse audacieuse faite à ceux qui accusent le ministère de rentrer dans les voies de la restauration. Le ministère tient à prouver qu’il ne redoute pas ces reproches, et pour mieux les braver, il s’est mis à fouiller dans les décombres des vieilles chambres du dernier régime, pour en retirer la fleur des majorités ministérielles des beaux jours de M. de Villèle et de M. de Corbière. Peu lui importe que la charte ait exigé renonciation des services rendus à l’état par les nouveaux pairs ; comme il ne pouvait écrire en tête des ordonnances de nomination de quelques-uns de ces pairs : Nommé pour avoir voté la loi du sacrilège, le milliard de l’indemnité, la loi des cours prévotales, il a préféré passer par-dessus cette formalité vaine, et s’en tirer par cette vague formule : Considérant les services rendus à l’état par M……… le nommons pair de France. M. Persil avait cru faire un acte de courage, en disant à la chambre : « Nous ne sortirons pas de la charte sans nécessité. » Mais MM. de Broglie, Thiers et Guizot sont plus courageux que M. Persil ; c’est sans la moindre nécessité qu’ils foulent encore à leurs pieds cet article de la malheureuse constitution de 1830.

Quelques-unes de ces nominations, celles de M. le marquis de Cordoue et de M. le marquis de la Moussaye, représentent la haine du ministère contre la presse, ardemment poursuivie, sous M. de Villèle, par ces deux illustres gentilshommes. La nomination de M. de Ricard, qui concourut à l’expulsion de Manuel, et voulut mander le Journal du Commerce à la barre de la chambre, exprime le même sentiment. En appelant au Luxembourg M. le duc de Cadore, M. Cambacérès, le marquis de Rochambeau et le vicomte Siméon, le ministère a voulu