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POÉSIES POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

jour. Quand l’aube vient, elle se trouve au milieu de plusieurs routes qui se croisent, devant un grand calvaire. Elle s’assied sur les marches de pierre.

TRIFFINE.

Je vais m’arrêter ici : mes pieds sont gonflés et ne peuvent plus me soutenir ; la douleur a brisé les forces de mon courage ; je suis trop faible pour continuer. (Elle s’assied, et se met à pleurer.) Pauvre Triffine ! tu te croyais heureuse à jamais, et ton sort a changé sans que tu l’aies mérité. À quoi t’ont servi tes honneurs ? À quoi t’ont servi tes beaux vêtemens des dimanches ? Hélas ! quand je me regarde, je me fais pleurer. Me voilà vêtue comme la plus pauvre des esclaves. J’ai quitté tous ceux que j’aimais, et encore je suis criminelle à leurs yeux. Ô mon frère Kervoura, tu m’as perdue ! et pourtant nous avons été élevés tous deux sur le même cœur… Mais il faut que je continue ma route. (Elle se lève.) Ô Jésus-Christ ! cœur triste comme moi, sois mon protecteur contre les méchans, et garde-moi.

Triffine reprend sa route. Bientôt elle arrive dans une ville et entre dans une église.

TRIFFINE.

Entrons dans cette église pour faire ma prière à la reine de la vie ; c’est elle qui m’a préservée et qui me préservera toujours. (Elle se met à genoux.) Vierge Marie, glorieuse avocate des hommes, vous êtes le soulagement des orphelins ; consolez, oh ! consolez cette pauvre reine qui vous prie. Après bien des souffrances, il ne lui reste rien. (Cherchant à se lever.) Mon corps est accablé de fatigue ; les jointures de mes membres sont brisées ; je ne puis plus ni me lever, ni marcher. Ma tête, flottant sur mes épaules, est tout étourdie, et je ne sens plus ni mon corps ni mon esprit. (S’affaissant sur elle-même.) Voici la fin de tout. — Je n’ai plus de courage. Ma place est marquée ici, je ne la quitterai plus. Après tant de peines et d’inquiétudes, mon cœur se rend à la douleur : je n’en puis plus.

(Elle tombe dans un sommeil d’accablement.)


Ici finit la troisième journée.


Voici ce qu’on voit dans la quatrième journée.

La duchesse d’Orléans et sa demoiselle de compagnie arrivent dans l’église où Triffine est endormie. Elles la réveillent, et lui demandent qui elle est et ce qu’elle fait là. Triffine leur dit alors qu’elle est une pauvre étrangère, et que, victime de la haine d’hommes puissans et nobles, elle a été forcée de fuir son pays. La duchesse lui propose de la prendre à son service, et Triffine accepte, mais sans lui dire qui elle est ; car la duchesse est la tante d’Arthur, et si elle connaissait Triffine, elle pourrait peut-être la rendre à son neveu pour la faire mourir.