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Nous nous séparâmes de la famille H. avec plus de peine qu’on n’en éprouve souvent à quitter des amis de dix ans. Drammen, que nous rencontrâmes à un quart de lieue, est une ville considérable que le commerce enrichit. Son port est plus fréquenté peut-être que celui de Christiana ; une grande rivière s’y jette et y amène les produits de l’intérieur. Le fleuve divise la ville en deux parties ; l’une est occupée par les négocians, l’autre par les propriétaires ; mais la distinction de quartier n’influe pas sur les relations sociales : les maisons y sont propres et riantes, les rues horriblement pavées. À l’entrée de la nuit, c’est-à-dire à dix heures du soir, nous sommes arrivés à Hogsund, petite ville voisine d’une chute d’eau que nous avons visitée le lendemain. Cette cascade n’est élevée que de quarante pieds, et ne mérite l’attention que par la masse d’eau qui se précipite : on y prend beaucoup de saumons. Sur les rochers qui dominent des deux côtés la cascade sont construits de forts échafaudages, et de grands filets pendent au milieu même de la chute. Le saumon ne peut vivre l’hiver dans l’eau douce, ni l’été dans l’eau salée ; pendant cette saison, son instinct le porte à remonter : il s’élance de toute sa force, et tombe dans les filets. Quand la journée est chaude et le temps clair, ils risquent plus volontiers leur ascension. On leur voit faire des efforts désespérés pour gravir la montagne liquide ; ils restent un moment suspendus à moitié chemin, et brillent au soleil comme des lingots d’argent. Ce premier succès est commun à tous ; ensuite leurs fortunes varient. Les uns, par un effort musculaire d’une vivacité incroyable, franchissent le second étage ; les autres rencontrent la poche du filet où ils doivent demeurer ; le plus grand nombre retombe au fond de l’abîme : fatigués, mais non découragés, ils recommencent bientôt leur saut périlleux. Quoique la journée fut peu avancée, nous en vîmes trente dans la cabane du pêcheur ; ils étaient longs de deux à quatre pieds, et pesaient de six à vingt-cinq livres. Ces pêcheries très multipliées sont un des grands revenus du pays ; le poisson, légèrement fumé et salé, s’exporte dans tout le nord. Dans les rivières barrées par des chutes infranchissables et que les Anglais nomment short rivers, la quantité de saumons est prodigieuse. Dans la rivière de Drammen, non plus que dans