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C’est d’abord parce que la loi anglaise ne saurait punir un discours public, prononcé par un membre du parlement, devant une assemblée d’électeurs, surtout quand la personne royale est ménagée dans ce discours. À peine ce discours serait-il coupable si la personne du roi y était maltraitée ; car c’est ainsi qu’on entend la liberté de l’autre côté du détroit. Puis, O’Connell ne pourrait être poursuivi que par la chambre des communes, et la chambre des communes se garderait aujourd’hui de lancer son huissier à verge noire contre ceux de ses orateurs qui attaquent les prérogatives de la chambre haute. Et enfin O’Connell n’attaque pas la chambre des lords tout entière, il ne demande pas l’exil, la déportation, l’anéantissement, de toute l’aristocratie inscrite au Doomesday Book ; ce qu’il veut, c’est qu’on débarrasse la chambre de cent soixante-dix lords qui le gênent lui et les hommes de son opinion ; et en cela lui, orateur ministériel en quelque sorte, et partisan de la réforme, il ne fait qu’imiter ceux de nos orateurs ministériels et ceux de nos ministres qui demandent à grands cris l’anéantissement de l’opposition. Les lords contre lesquels s’acharne O’Connell avec l’ardeur et la férocité d’un dogue irlandais, ne forment après tout qu’une opposition et une minorité. Quels reproches pourraient donc lui faire les violens orateurs du parti ministériel qui, en France, ne réclament pas moins que la déportation, la confiscation et l’exil, contre la minorité politique dont ils voudraient se débarrasser ? O’Connell, ce n’est autre chose que M. Jaubert spirituel, que le général Bugeaud éloquent, que M. Guizot, qui ne manque, certes, ni d’élévation, ni d’éloquence, ni de grandes pensées, mais qui voile à peine, sous une parole polie et raffinée, une passion politique bien plus âpre que toutes celles dont O’Connell poursuit les lords ses ennemis !

On a fait, entre O’Connell et M. Odilon-Barrot qui parcourait, il y a quelques jours, la Basse-Normandie, une comparaison ingénieuse et spirituelle, mais bien injuste pour M. Odilon-Barrot comme pour O’Connell, l’agitateur irlandais. D’abord, l’urbanité et la modération sont les caractères distinctifs de l’éloquence de M. Barrot ; et nous avons vu que ce ne sont pas là précisément les qualités de M. O’Connell. M. Barrot est un esprit philosophique et spéculatif, qui a peine à descendre des hauteurs de sa pensée sur le terrain des intérêts. Ses vues politiques embrassent toujours un vaste horizon ; mais souvent aussi elles sont vagues comme l’horizon, et il oublie de les formuler dans ces misérables termes qu’il faut adopter pour exprimer de misérables intérêts positifs. O’Connell, au contraire, ne parle jamais que d’un droit, d’une prérogative, d’un privilége, qu’il veut extirper ou obtenir ; on l’accuse d’atta-