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beau côté de Béranger. L’empire croulé, Béranger devait rentrer dans le silence ou bien aborder franchement la poésie, comme a fait Uhland en Allemagne. Les élans patriotiques ne sont pas quotidiens, on n’est Tyrtée qu’une heure dans sa vie. La part de Béranger me semble assez belle ; qu’il se félicite d’avoir écrit sur Napoléon le plus beau poème de notre temps, les seuls vers politiques qui resteront. Quant à ces attaques opiniâtres et sanglantes dont il a poursuivi le parti catholique de la restauration, et qui, quoi qu’on en dise, ont rejailli sur le catholicisme, oubliées aujourd’hui qu’il n’y a plus de prêtres, elles ne serviront en rien à sa gloire à venir. Cette pensée qui s’ébat sur le front rêveur de Napoléon, qui voltige parmi les abeilles impériales de son manteau, est moins noble et moins généreuse lorsqu’elle vient piquer le corps spirituel de Jésus-Christ à travers la soutane usée d’un pauvre sacristain.

Uhland s’est toujours maintenu dans une sphère plus élevée ; ses chansons à lui n’ont rien à faire avec les circonstances. C’est un Allemand qui soulève son peuple contre le peuple qui s’avance à grandes journées pour le conquérir. Que lui importe à lui que vous vous appeliez César ou Napoléon, que vous veniez de l’Orient ou l’Occident, que vous soyez Français ou Russe, juif ou païen, catholique ou réformé. Sitôt qu’il vous entend descendre dans ses plaines avec vos chevaux et vos artilleries, il se lève, entonne sa chanson, lève les mains au ciel, et vous maudit, sacer esto. Si dans mille ans il y a une Allemagne, les chants de Uhland se chanteront encore aux jours de bataille.

Le mouvement de Uhland est toujours sympathique, sa poésie allemande, c’est-à-dire exaltée à la fois et sereine, pleine de flamme et de rêverie. Souvent, au milieu d’une chanson de guerre, vous voyez une strophe paisible et bienheureuse s’épanouir comme une fleur de mai dans un champ de bataille. Il y a du pur sang germain dans les veines de cet homme. À chaque instant il s’interrompt pour vous parler des vertus domestiques ; les vieilles mœurs le préoccupent. Les vertus domestiques, le vieux droit, les vieilles mœurs, c’est là-dessus qu’il a élevé sa poésie, certain que ce ne sont pas là des choses écrites sur le sable, et que le vent des révolutions emporte comme les fleurs-de-lis d’un trône. Je