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avec sa pensée, l’homme rêve dans le ciel des voluptés qui lui manquent ici-bas. Toutes les fois que l’humanité se trouvera dans un jardin rempli de grands fleuves, de moissons et de bois, l’humanité sera comme le premier homme, elle se baignera dans l’eau des fleuves, dormira sous l’ombre de l’arbre, et cueillera son fruit pour s’en nourrir.

Les ballades de Uhland sont composées avec modération et simplicité, la plupart écrites avec soin. La langue allemande, nombreuse et mesurée, aide merveilleusement le poète dans l’ordonnance du rhythme et l’harmonie de la strophe. Aussi les qualités matérielles du style poétique se rencontrent si fréquemment en Allemagne, même chez les écrivains du second ordre, qu’il serait puéril de les élever plus haut qu’il ne convient. Vous ne trouvez dans ces ballades ni la sensibilité profonde du chantre de la Fiancée de Corinthe, ni l’émotion dramatique et terrible de l’auteur de Lénore. Ce sont de petites pensées revêtues le plus souvent d’une forme simple, et qui ne manque pas d’une certaine grace ; le nom de lied qu’on leur donne en Allemagne me paraît en exprimer à merveille le caractère douteux ; je les appellerais volontiers romances, si ce mot avait encore son acception toute française, et si, après l’abus qu’on en a fait, il éveillait en nous autre chose que l’idée d’une pièce aussi ridicule par le fond, au moins, que par la forme, et qui se dérobe à toute analyse sérieuse.

Dans le tumulte du mouvement romantique qui eut lieu pendant les dernières années de la restauration, la ballade fut réhabilitée en France. Dès-lors une nuée de poètes s’abattit chez toutes les nations de l’Europe, demandant çà et là les traditions du passé. Dans cette exploration poétique, la terre d’Allemagne ne fut pas oubliée. La ballade existait là dès long-temps à titre de poésie nationale, bien avant qu’on eût songé à l’inventer chez nous. Goëthe et Schiller florissaient ; la tradition brute avait pris entre leurs mains sa forme poétique. C’était donc tout profit ; il n’y avait qu’à traduire. Pourquoi se serait-on mis en peine de forger un bouclier d’airain à cette Minerve sortie tout armée du cerveau de Jupiter ? On sait combien d’imitations de Uhland, de Goëthe et de Bürger nous arrivèrent de tous côtés. On ne traduisait pas,