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POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

on imitait ; et c’est au point qu’il n’existe pas aujourd’hui en poésie une honnête traduction de Lénore. Cette pauvre Lénore, on délaya ses pleurs et son sang dans une cuve d’encre, et tous les poètes vinrent tremper leurs plumes de corbeau dans cette cuve. Je sais une ballade fort goûtée autrefois, qui est faite avec les quatre premières strophes du poème de Bürger. Uhland est peut-être le seul poète d’Allemagne qui ait échappé à cette exploitation ; et cet oubli dans lequel les romantiques le laissèrent reposer, tient moins au peu de valeur de ses ballades, qu’au système dans lequel il les a conçues. On sait quelles niaiseries se débitèrent en ce temps, quelles difformités individuelles furent posées comme principes du vrai beau, quel attirail de squelettes, de chauve-souris et d’oripeaux, cette noble muse française traîna après elle.

La petite ballade qui a pour titre : La Poésie allemande (Die deutsche Poesie), est une charmante composition pleine de grace et de fraîcheur. Il y règne un sentiment parfait du merveilleux aérien tant de fois mis en usage par certains poètes allemands du moyen-âge. On croirait lire un chapitre de Titurel ou du poème d’Arthur. J’aime bien aussi la Fille de l’Orfèvre. Il n’y a qu’un Allemand capable de faire ce petit drame et de vous émouvoir avec si peu. On est pris d’intérêt pour cette douce Hélène, amoureuse d’un beau cavalier qui vient chaque jour lui commander quelque joyau pour sa fiancée. Pauvre Hélène ! Le soir, quand elle est toute seule, elles les essaie en pleurant ces diamans qui ne lui sont pas destinés. À la voir triste dans sa boutique attacher à son cou ces beaux colliers de perles, on dirait un reflet de Marguerite essayant l’écrin de Faust.

Les Chants de voyage que M. Dessauer a mis en musique, forment un petit poème à part dans le volume de Uhland. Ce sont, comme je l’ai dit plus haut, des pensées d’adieu, de retour, des mots entrecoupés de larmes de joie ou de tristesse. Ces chansons me paraissent avoir surtout le mérite de rendre les émotions sereines ou mélancoliques, heureuses ou pénibles, que le soleil de mai ou les froides brumes de novembre font naître dans l’âme du voyageur, de l’homme qui chemine seul avec ses souvenirs sur les gazons fleuris des vertes lisières, ou qui passe à cheval sur la grande route, à travers la plaine désolée, enveloppé dans son manteau.