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POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

enfin c’est une vérité : sans l’exécution, la musique n’existe pas pour la multitude. Cette vierge céleste n’a d’essor que jusqu’à certaines hauteurs ; lorsqu’elle y est parvenue, elle s’arrête en silence, attendant que ses belles prêtresses viennent la vêtir pour les sommets divins, et la couronner des perles de leur voix cristalline.

Tel est le caractère de la musique de M. Dessauer, qu’elle vous initie à toutes les émotions, à tous les détails mystérieux de cette scène charmante. Il vous semble voir la jeune fille debout sur le seuil de la porte, disant adieu à son bien-aimé qui lui serre la main. Le jour commence à poindre, l’alouette à chanter ; le vent frais du matin secoue en s’éveillant les branches du vieux châtaignier sous lequel on s’est vu tant de fois le soir. « Adieu, rapporte-moi une fleur du jardin ; adieu, je n’attends point de fruit ; adieu, séparons-nous, l’alouette chante. » En vérité, c’est la scène de Roméo ; seulement, au lieu du palais de Vérone, c’est une auberge d’un petit village d’Allemagne ; au lieu de Juliette, une servante ; au lieu du pâle gentilhomme son amant, un robuste garçon aux larges épaules, aux joues vermeilles, qui selle lui-même son cheval et porte une ceinture de cuir. Il y a entre la poésie, la musique et la peinture, une alliance éclatante qu’il est impossible de ne pas apercevoir, à moins de fermer les yeux ou d’être aveugle. Je pourrais citer à l’appui de ce que j’avance dix exemples victorieux et forts des noms de Beethoven, de Mozart ou de Weber ; je me contente de l’exemple que j’ai là sous la main. Uhland trouve un sentiment vrai et l’exprime en beaux vers mélancoliques ; un musicien lit ce poème, s’en inspire, et voilà qu’une délicieuse mélodie en est éclose. Qu’un grand peintre, que Teniers maintenant s’empare de cette musique où la poésie a laissé son parfum, et vous aurez un des plus charmans tableaux de l’école flamande. Trinité merveilleuse de l’art !

Il est une musique vague qui ne peut être comprise que dans certaines dispositions d’esprit, et sur l’effet de laquelle l’état de la nature extérieure influe étrangement. Bien des compositions allemandes, par leur caractère irrésolu et mélancolique, par le vague de la pensée et l’indécision de la forme, se rattachent à ce genre de musique. Je ne vous conseille pas d’étudier pour la première fois