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SCIENCES NATURELLES.

menteur l’écrivain qui, dans une intention beaucoup plus honnête, aura ajouté un trait fantastique à l’histoire du crapaud. Il trouve un animal qu’on dit se nourrir seulement de terre, et qui a par conséquent tout le globe à dévorer avant d’être exposé à souffrir de la faim. Il nous le représente ne prenant chaque jour dans cet inépuisable magasin que la petite portion que sa patte peut couvrir ; le stupide animal craint que la terre ne finisse avant lui ! Je le demande, l’image n’est-elle pas bien propre à faire ressortir la folie de l’avare ? Si donc c’est là ce que s’est proposé l’auteur (et je crois qu’on n’en peut guère douter, puisque dans les écrits de cette époque c’est toujours comme symbole de l’avarice que le crapaud nous est présenté), tant pis pour ceux qui auront été chercher dans son livre ce qu’il n’avait jamais voulu y mettre. Supposez qu’un zoologiste moderne ait été étudier dans la Nuit de mai les mœurs du pélican, sera-t-il bien venu ensuite à reprocher à M. Alfred de Musset de lui avoir mal enseigné l’histoire naturelle ?

Je m’aperçois que je m’éloigne de plus en plus de mes crapauds. Il faut que je me hâte d’y revenir, car je ne suis pas au quart de ce que je voulais conter de leur histoire fabuleuse.

J’ai déjà parlé de l’antipathie qui existait entre leur espèce et la nôtre ; hé bien ! cette antipathie même, l’homme avait voulu la tourner à son profit, et voici comment ;

À une certaine époque, on s’était habitué à voir dans le corps humain une image de l’univers, un microcosme, comme on le dit plus tard. On admettait que dans ce petit monde, de même que dans le grand, chaque partie avait son existence propre, ses mouvemens indépendans, qui, à la vérité, concouraient tous vers un but commun, mais ne dérivaient pas immédiatement d’une cause unique. C’était comme une république bien ordonnée, dans laquelle chaque membre faisait en temps opportun ce qui convenait à l’intérêt de tous les autres, et sans avoir besoin d’être averti par eux. Cet heureux accord existant non-seulement entre les élémens corporels, mais encore entre l’esprit et la matière, l’hypothèse fournissait une manière commode de se rendre compte de la liaison entre les mouvemens de l’ame et ceux du corps ; c’était une sorte d’harmonie préétablie, différente pourtant de celle de Leibnitz.

Lorsqu’un homme rougit de plaisir ou pâlit de frayeur, le philosophe saxon ne voit là qu’un changement dans le rhythme du cœur, changement qui ne dépend en aucune manière de l’affection de l’ame ou de l’évènement par lequel cette affection est déterminée, mais qui était calculé d’avance et de toute éternité de manière à se produire juste à ce moment. Dans le système dont nous parlons, au contraire, on attribuait ces changemens de