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espèce terrestre, il va chercher sur-le-champ une retraite dans quelque lieu peu exposé à l’action du soleil et où l’air ne soit pas trop sec ; communément il se met en route de nuit, et quand le soleil le surprend, il s’empresse de chercher un gîte, entrant, si rien de mieux ne se présente, au fond des fentes qui se produisent dans le sol par l’excès de la sécheresse. Souvent l’émigration a été nombreuse, aussi arrive-t-il quelquefois qu’un grand espace nu brûlé par le soleil, crevassé en tous sens, et où il n’y a pas apparence d’un seul être vivant, se peuple, après quelques minutes de pluie, d’une multitude de crapauds qui s’attirent du plus profond des fentes et viennent jouir de l’humidité à la surface.

Dans les parties tropicales de l’Amérique, où, comme je l’ai dit, le pipa vit volontiers dans l’intérieur des maisons, il suffit qu’on arrose le plancher (si on peut dire plancher quand c’est, comme dans le cas le plus ordinaire, seulement de la terre foulée), pour voir sautiller bientôt une multitude de petits crapauds qui, moins prudens et plus pressés de jouir que leurs anciens, ayant d’ailleurs, à cause de la plus grande finesse de leur peau, plus de besoin d’en entretenir l’humidité, se hâtent de venir se vautrer dans les gouttes d’eau avant qu’elles se soient évaporées ou aient été absorbées par le sol.

Les premiers Espagnols qui ont été témoins de ces apparitions soudaines paraissent n’avoir pas douté que ces animaux ne fussent nés soudainement aux lieux où ils les apercevaient, et par le simple contact de la terre et de l’eau. Pierre Martyr dit que cela se voit tous les jours à Veragua ; mais comme Martyr était un érudit, il se pourrait bien qu’il eût été chercher chez les anciens l’explication d’un fait qui lui avait été donné sans commentaires.

Du moment où la terre redevient sèche, elle cesse de convenir à nos jeunes batraciens, qui ne tardent pas à regagner leurs retraites. Leur disparition soudaine devenait donc encore un sujet d’étonnement et par suite d’explications hasardées. Au reste, puisqu’on admettait que ces animaux s’étaient formés instantanément par le simple contact de l’eau du ciel avec la terre, il n’y avait pas plus de difficulté à supposer qu’ils s’anéantissaient presqu’aussi soudainement après quelques heures par la séparation de ces deux élémens sous l’influence de la chaleur. C’était, en effet, l’opinion de plusieurs philosophes anciens, et on la retrouve, jusque vers la fin du xvie siècle, professée par des hommes d’ailleurs éclairés ; chez ceux-ci elle est quelquefois un peu modifiée, sans devenir pourtant plus plausible. Ainsi Mathiole, après avoir rapporté ce que dit Pline de grenouilles qui naissent de la vase, et qui, après six mois, retournent en limon, pour ressusciter ensuite au printemps, ajoute la remarque sui-