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comme on voit, notre poète a racine en plein au meilleur terroir de la France. Il commença ses études à Paris dans l’institution de M. Hix, et fut ensuite sous un précepteur. À la première restauration, âgé de seize ans, on le fit entrer dans une des compagnies rouges de la maison du roi, et lors de la suppression de ces compagnies, en 1816, il passa dans la garde royale à pied. Le goût de la guerre et celui des lettres se disputaient et se mariaient en lui ; les unes gagnèrent constamment du terrain à défaut de l’autre. Une des connaissances intimes de son père était l’aimable et spirituel M. Deschamps, père des deux poètes de ce nom, et lui-même un des derniers liens de la société littéraire de son temps. Les jeunes Alfred et Émile s’étaient connus de bonne heure, tout enfans ; ils se retrouvèrent après quelque intervalle, en 1814 ou 1815, dans un bal. Quelques mots rapides, communicatifs, les remirent vite au fait de leurs goûts, de leurs rêves et de leurs essais durant l’absence, et le lendemain ils eurent rendez-vous, dans la matinée, pour se confier leurs vers. Ceux du poète qui nous occupe n’étaient et ne pouvaient être encore qu’un tâtonnement ; quelques vers gracieux, mélancoliques, très roses ou très sombres, une ébauche de tragédie des Maures de Grenade ; mais déjà des idées d’art inquiètes, lointaines et hors du commun. L’Ode au Malheur[1] était faite, la pièce du Bal, qui indique toute une nouvelle manière, allait venir bientôt. Des morceaux d’André Chénier publiés par M. de Châteaubriand dans le Génie du Christianisme et par Millevoye à la suite de ses poésies, donnaient déjà beaucoup à réfléchir à cet esprit avide de l’antique, qui cherchait une forme, et que le faire de Delille n’amorçait pas. Myrto la jeune Tarentine, et la blanche Nérée, faisaient éclore à leur souffle cette autre vierge enfantine, la Lesbienne Symetha. Une société choisie et lettrée se rassemblait chez M. Deschamps ; écoutons l’auteur des Dernières Paroles nous la peindre au complet dans une de ses pièces les plus touchantes :


C’était là mon bon temps, c’était mon âge d’or,

  1. Supprimée à tort dans le volume des Poèmes. Voir l’édition de 1822. Je regrette aussi que des changemens importans aient été faits à certaines pièces, à la Femme adultère, dans les éditions postérieures à 1822.