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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

son rang dans les jeunes admirations ; une auréole mystique et secrète l’entoura peu à peu au seuil de sa solitude. Après les épanchemens lyriques et les confidences qui avaient resserré l’union des poètes, après les feux des Orientales, entremêlés du trépas de Madame de Soubise et des jeux de la Frégate la Sérieuse, les plus forts songèrent au théâtre, à cette arène où la poésie peut arriver au public, face à face, en le prenant par ses sensations, en le domptant. M. de Vigny crut toutefois qu’un détour était encore nécessaire, et il s’adressa à l’Othello de Shakspeare pour une première initiation du public, tandis que M. Hugo abordait à nu la question par Hernani. Sans nous constituer juge ici entre les idées dramatiques des deux amis devenus rivaux, notons que c’est à dater de ce jour que M. de Vigny, de nouveau refoulé, dessina de plus en plus distinctement sa position, et entra dans cette seconde phase de son talent qui aboutit à Stello, à Chatterton, et qui le rapproche de Sterne et d’Hoffmann, comme la première l’avait rapproché de Klopstock. Le poète méconnu, étouffé, ulcéré, que les gouvernemens haïssent ou dédaignent, et que la foule ne couronne pas, devint pour M. de Vigny un héros favori, dont il revendiqua les douleurs et dont il vengea l’angoisse. Son plus beau triomphe dans cette voie fut la soirée de Chatterton, où, après cinq ans d’efforts silencieux et pénibles, il força la foule assemblée, les salons, les critiques eux-mêmes, à applaudir et à frémir au spectacle déchirant d’une douleur que la plupart méconnaissent ou enveniment. D’autres circonstances préliminaires, bonnes à relever, ont influé encore sur cette dernière phase du talent de l’auteur. Des liaisons philosophiques très empressées, qui essayèrent de se nouer autour de M. de Vigny, vers 1820, et qui se rattachaient au remarquable mouvement d’idées représenté par M. Buchez, contribuèrent à l’éclairer et à le désabuser sur l’esprit envahissant des systèmes, et sur la prétention des philosophes et savans qui voudraient faire de l’art un serviteur. Plaçant donc tour à tour l’art, la poésie, en présence des gouvernemens, en présence du public et des salons, en présence des critiques et des gens de lettres, enfin en présence des philosophes, il la vit de toutes parts entourée ou d’indifférens ou d’ennemis et d’oppresseurs ; il s’attacha d’autant plus étroitement à la noble idée en détresse ; il y re-