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des ponts, sur des arcs de triomphe ; il a joui en maître des lions et des tigres du Jardin des Plantes ; il a mandé dans son hôtel les autruches et les gazelles ; M. Thiers s’est montré en public, à la cour, sous des habits chamarrés d’or et de croix ; il a figuré sur un cheval blanc dans les revues, il a fait peser sa main sur les théâtres ; dernièrement, pour varier un peu la monotonie de ces plaisirs, il est allé s’agenouiller solennellement aux pieds de l’archevêque de Paris, dans Notre-Dame ; et enfin, ne trouvant pas devant l’autel la sensation qu’il cherche, il est allé la demander dans le château de M. Vigier, à la joyeuse licence de la table. Les échos de Grand-Vaux, indiscrètement répétés par quelques convives de ce nocturne banquet, retentissent encore des cris et des chants dont M. Thiers et ses amis politiques ont rempli ces lieux. Là, M. Thiers a inscrit son nom d’une façon plus ineffaçable encore qu’à la Madelaine et à la place Vendôme ; et le pays, qui est plus attentif qu’on ne pense à la comédie qui se joue devant lui, se souviendra de cette mémorable nuit du pudibond et religieux ministre.

Toujours est-il que M. Thiers est las de tout, qu’il a tout vu, tout usé, et que, pour tirer encore un peu de vanité et d’avantage de sa haute position, il est réduit à se promener dans les provinces et en terre étrangère, sur les chemins de fer et sur les grandes routes ; car assurément ce n’est pas pour s’instruire que M. Thiers se met en voyage. M. Thiers ne regarde et ne voit pas ; il ne questionne jamais, il enseigne, et sa vive intelligence supplée à tout ce qu’il ignore et à tout ce qu’il n’apprend pas. Les journaux nous annoncent que M. Thiers a acheté sur sa route (pour le compte du gouvernement) des bahuts et des meubles du xvie siècle, afin de donner des modèles aux écoles de sculpture, comme si M. Thiers se connaissait en bahuts sculptés et en meubles gothiques ! Et puis, qu’est-ce qu’un ministre qui abandonne les affaires pour aller acheter des bahuts ? N’est-ce pas là l’emploi d’un inspecteur des beaux-arts, d’un homme spécial ? M. Thiers s’y entendra-t-il jamais aussi bien que les amateurs en ce genre ? atteindra-t-il jamais aux connaissances de M. Hérisson, de M. Sauvageot et de M. du Sommerard ? Vous apprendrez bientôt que M. Thiers est allé acheter des chevaux dans le Mecklembourg et en Angleterre ; car M. Thiers a aussi la prétention de connaître à fond la race chevaline, qu’il a étudiée dans les bureaux du National et du Constitutionnel. Non, lisez que M. Thiers a gagné, comme une foule de bourgeois désœuvrés, le goût des vieux meubles, et qu’il lui a pris fantaisie de meubler d’objets gothiques sa belle galerie, déjà pleine de figurines, de vases et de statuettes, qu’il a sans doute rassemblés pour les donner en modèles aux écoles. Lisez que