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aux échéances ; enfin, avec beaucoup d’aisance, elle mène la vie la plus gênée. Elle est plus pauvre que son tiroir, et son argent ne lui sert de rien. Qui dit toilette en parlant des femmes, dit un grand mot, vous le savez. Il a donc fallu, à tout prix, user de quelque stratagème. Les mémoires des fournisseurs ne portent que ces dépenses banales que le mari appelle « de première nécessité ; » ces choses-là se paient au grand jour ; mais à certaines époques convenues, certains autres mémoires secrets font mention de quelques bagatelles que la femme appelle à son tour « de seconde nécessité », qui est la vraie, et que les esprits mal faits pourraient nommer du superflu. Moyennant quoi, tout s’arrange à merveille ; chacun y peut trouver son compte, et le mari, sûr de ses quittances, ne se connaît pas assez en chiffons pour deviner qu’il n’a pas payé tout ce qu’il voit sur l’épaule de sa femme.

FORTUNIO.

Je ne vois pas grand mal à cela.

JACQUELINE.

Maintenant donc, voilà ce qui arrive ; le mari, un peu soupçonneux, a fini par s’apercevoir, non du chiffon de trop, mais de l’argent de moins. Il a menacé ses domestiques, frappé sur sa cassette et grondé ses marchands. La pauvre femme abandonnée n’y a pas perdu un louis ; mais elle se trouve, comme un nouveau Tantale, dévorée du matin au soir de la soif des chiffons. Plus de confidens, plus de mémoires secrets, plus de dépenses ignorées. Cette soif pourtant la tourmente ; à tout hasard elle cherche à l’apaiser. Il faudrait qu’un jeune homme adroit, discret surtout, et d’assez haut rang dans la ville pour n’éveiller aucun soupçon, voulût aller visiter les boutiques, et y acheter, comme pour lui-même, ce dont elle peut et veut avoir besoin. Il faudrait qu’il eût, tout d’abord, facile accès dans la maison ; qu’il pût entrer et sortir avec assurance ; qu’il eût bon goût, cela est clair, et qu’il sût choisir à propos. Peut-être serait-ce un heureux hasard s’il se trouvait par là, dans la ville, quelque jolie et coquette fille, à qui on sût qu’il fît la cour. N’êtes-vous pas dans ce cas, je suppose ? ce hasard-là justifierait tout. Ce serait alors pour la belle que les emplettes seraient censées se faire. Voilà ce qu’il faudrait trouver.

FORTUNIO.

Dites à votre amie que je m’offre à elle ; je la servirai de mon mieux.

JACQUELINE.

Mais si cela se trouvait ainsi, vous comprenez, n’est-il pas vrai, que pour avoir, dans la maison, le libre accès dont je vous parle, le confi-