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LE CHANDELIER.

FORTUNIO.

Oui, pauvre enfant ! dites-le encore, car je ne sais si je rêve ou si je veille, et, malgré tout, si vous ne m’aimez pas. Depuis hier, je suis assis à terre, je me frappe le cœur et le front ; je me rappelle ce que mes yeux ont vu, ce que mes oreilles ont entendu, et je me demande si c’est possible. À l’heure qu’il est, vous me le dites, je le sens, j’en souffre, j’en meurs, et je n’y crois ni ne le comprends. Que vous avais-je fait, Jacqueline ? Comment se peut-il que, sans aucun motif, sans avoir pour moi ni amour ni haine, sans me connaître, sans m’avoir jamais vu ; comment se peut-il que vous que tout le monde aime, que j’ai vue faire la charité et arroser ces fleurs que voilà, qui êtes bonne, qui croyez en Dieu, à qui jamais… Ah ! je vous accuse, vous que j’aime plus que ma vie ! ô ciel ! vous ai-je fait un reproche ? Jacqueline, pardonnez-moi.

JACQUELINE.

Calmez-vous ; venez ; calmez-vous.

FORTUNIO.

Et à quoi suis-je bon, grand Dieu, sinon à vous donner ma vie ? sinon au plus chétif usage que vous voudrez faire de moi ? sinon à vous suivre, à vous préserver, à écarter de vos pieds une épine ? J’ose me plaindre, et vous m’aviez choisi ! ma place était à votre table, j’allais compter dans votre existence. Vous alliez dire à la nature entière, à ces jardins, à ces prairies, de me sourire comme vous ; votre belle et radieuse image commençait à marcher devant moi, et je la suivais ; j’allais vivre ; est-ce que je vous perds, Jacqueline ? est-ce que j’ai fait quelque chose pour que vous me chassiez ? pourquoi donc ne voulez-vous pas faire encore semblant de m’aimer ?

(Il tombe sans connaissance.)
JACQUELINE, courant à lui.

Seigneur, mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait ? Fortunio, revenez à vous.

FORTUNIO.

Qui êtes-vous ? laissez-moi partir.

JACQUELINE.

Appuyez-vous ; venez à la fenêtre ; de grace, appuyez-vous sur moi ; posez ce bras sur mon épaule, je vous en supplie, Fortunio.

FORTUNIO.

Ce n’est rien ; me voilà remis.