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à tour philosophique ou poétique, du siècle présent ; non, c’est un perpétuel cliquetis d’antithèses puériles ; c’est alternativement la caricature de Beaumarchais ou de quelques dramatistes plus modernes. M. Delavigne a démontré victorieusement qu’il y a autre chose dans la langue que des vers et de la prose, et qu’il ne suffit pas de limer les clous d’une rime pour ouvrir les charnières d’une période. En désertant l’alexandrin, il n’a pas mis le pied sur le seuil d’une nouvelle patrie ; il a perdu son armure, et n’a pas trouvé un manteau à sa taille.

Bien que je n’aie jamais partagé l’avis des critiques, éclairés d’ailleurs, qui proposent la réalité complète savamment restituée, comme le modèle achevé de toute poésie ; bien que pour moi Homère domine Hérodote, comme Shakspeare domine Hollinshed, cependant j’ai toujours pensé que l’imagination ne s’élève au-dessus de la mémoire qu’à la condition d’interpréter le souvenir. Or, est-il probable que M. Delavigne n’ait pas feuilleté les biographes de don Juan d’Autriche ? Est-il probable qu’il se soit contenté de quelques pages de Robertson ou de Strada ? Je répugne à le croire. À la vérité, il a déjà trouvé dans Comines l’étoffe d’une bergerie digne de Racan ; et quelle bergerie ! Louis xi à Plessis-lès-Tours. Mais s’il connaît la vie de don Juan, comment s’est-il plu à dénaturer une réalité plus riche que son poème, que Schiller aurait bien su agrandir et féconder, mais qui, faute d’être labourée par une habile charrue, est plus variée, plus imposante dans son inculte nudité que le roman dialogué de M. Delavigne ?

Élevé jusqu’à sa puberté dans l’ignorance de son père, don Juan est présenté à Philippe ii, dans une partie de chasse, par don Luis Quixada. Charles-Quint en mourant avait révélé à l’héritier de sa couronne le secret de ses premières faiblesses, et lui avait recommandé le bonheur de son fils naturel. Destiné aux dignités ecclésiastiques, don Juan, en apprenant de la bouche même du roi, devant tous les seigneurs de la cour, qu’il est du sang de Charles-Quint, se confirme dans son ambition militaire ; certes c’est là un beau début. Nous n’avons pas la fatuité de construire en quelques lignes un édifice dramatique ; mais vous allez voir comme les masses se groupent d’elles-mêmes, comme elles s’ordonnent harmonieusement.