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LES CHANTS DU CRÉPUSCULE.

fondu, dissimulé. M. Hugo a-t-il entièrement évité l’inconvénient que nous signalons ? N’y a-t-il pas dans la composition des Chants du Crépuscule quelques ombres grossies à dessein, quelques lueurs plus sensibles à l’œil que l’ame du poète ne semble naturellement accoutumée à les voir ? J’avoue qu’en relisant dans ce volume plusieurs des pièces politiques déjà imprimées et en lisant pour la première fois certaines pièces politiques et sociales plus nouvelles, j’ai été singulièrement frappé, après le premier éblouissement, de tout ce qu’il y avait chez le poète de propos délibéré, de thème voulu, de besoin d’assortir le siècle à sa donnée poétique particulière, ou, si l’on veut, d’assortir sa propre poésie à une tournure d’idées de plus en plus ordinaire au siècle. Beaucoup de poètes lyriques, dans le genre de l’ode, n’ont pas fait autrement, je le sais. L’ode, à proprement parler, depuis Pindare et à commencer par lui, n’a guère été jamais qu’un thème de circonstance, accepté plutôt que choisi, et plus ou moins richement exécuté. M. Ampère, dans une de ses ingénieuses et judicieuses leçons du Collége de France, remarquait qu’en France, chez les quatre principaux lyriques des trois derniers siècles, chez Ronsard, Malherbe, Jean-Baptiste Rousseau et Le Brun, il y avait une faculté de chant, ou du moins une faculté de sonner avec éclat de la trompette pindarique, indépendamment même d’une certaine nature de sensibilité, d’une certaine conviction habituelle et antérieure de l’ame. Un des Valois se marie, Richelieu prend La Rochelle, le prince Eugène gagne une bataille, le vaisseau le Vengeur s’abîme avec gloire, et voilà tous nos poètes qui ont chanté. Il y a quelque chose d’évidemment extérieur dans cette faculté grandiose de l’ode. C’est bien exactement une trompette qu’on prend ou qu’on laisse. M. Hugo, dans une très belle pièce, et même la plus belle du volume, compare l’ame du poète à une cloche en son beffroi ; la cloche retentissante, et qui sonne pour chaque fête ou chaque deuil, a de la ressemblance encore avec cette faculté de l’ode ; tanquàm œs tinniens ; je ne sais quoi de puissant et de magnifique, de creux et de sonore. Dans ses premières odes politiques, M. Hugo, plus qu’aucun des lyriques précédens, avait fait preuve d’une conviction naïve fondue au talent, d’une inspiration spontanée et sincère. Puis, ces premières croyances monarchiques et