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L’HOSPICE DES ALIÉNÉES À GAND.

expression mondaine en parlant de l’une d’elles, je n’ai pas à craindre que ce souvenir du monde extérieur ne vienne troubler sa vie oubliée, et ne la fasse rougir de modestie sous cette guimpe pâle, de la couleur du linceul, qui voile à demi sa charmante figure. Pourquoi donc me défendrais-je de faire admirer à ceux qui me liront la grandeur de son sacrifice, en donnant quelques regrets respectueux à ce qu’elle a enseveli de graces, d’esprit, de beauté, dans cette horrible demeure ? C’était la jeune sœur qui nous accompagnait. Je voudrais avoir le secret d’une langue à la fois chaste et romanesque, austère et tendre, pour peindre, sans le profaner, ce visage si délicat, si doux, si voilé, le dirai-je ? si éteint, miroir d’une ame qui ne s’y montrait plus que par la bonté intelligente et toujours égale. Son œil noir, son regard léger, qui semblait glisser sur les objets ; ses lèvres blanches qui laissaient voir de jolies dents négligées ; ses joues où les rigueurs du cloître n’avaient pas encore détruit la jeunesse, mais où s’effaçaient de jour en jour quelques roses que le souffle du monde aurait sitôt fait renaître ; sa démarche gracieuse, quoique abandonnée et indifférente ; sa taille dérobée à dessein sous l’ampleur informe du costume de l’institution ; sa voix délicate, fine, mais sans vibration, effleurant l’ame comme son regard effleurait les objets ; ses mains si blanches et si effilées qui sortaient de dessous ses vastes manches, de la même étoffe funéraire que sa guimpe, et qui maniaient les grosses clés du trousseau avec l’insouciance d’un porte-clés ; toutes ces beautés qui s’ignoraient, faisaient de la jeune religieuse le type parfait de ces femmes qui vivent entre la terre et le ciel, appartenant à la terre par la charité, et au ciel par la mort spirituelle du corps ; créatures qui font comme leur purgatoire ici-bas, avant d’arriver au paradis, et qui n’ont qu’à expier le péché de leur origine ; femmes sans maladie ni santé, ni jeunes ni vieilles, qui traversent les années sans les sentir, et qui meurent avant d’avoir vécu.

Sitôt que je la vis venir à nous, son trousseau de clés à la main, et qu’elle nous eut fait signe de la suivre, avec un sourire faible et un regard détourné, tout ce que j’ai de cœur se révolta. Les idées de tyrannie, de vœux forcés, de parens imbécilles, me montèrent à la tête, et je fus pris naturellement, sans imitation, d’un peu de