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des procédés nouveaux et des perfectionnemens apportés à leurs professions. Il en résulte que les états manuels sont généralement exercés sans habileté.

Mais parmi toutes les causes qui ont arrêté en Bretagne l’élan de l’industrie ouvrière, il en est une plus puissante et qui tient à un préjugé tout-à-fait local : nous voulons parler de l’espèce de mépris qui, dans nos campagnes, frappe l’ouvrier et le place dans une situation presque honteuse. Il nous serait difficile d’expliquer l’origine de ce dédain pour l’homme de métier ; mais elle est fort ancienne. Dans le moyen-âge, beaucoup de nos gentilshommes se trouvèrent trop pauvres pour se maintenir dans une noble oisiveté ; il fut décidé qu’ils pourraient conduire la charrue sans déroger, mais non exercer des métiers, parce qu’il était indigne d’hommes nobles de se livrer à de vils travaux. Peut-être le mépris pour les professions mécaniques vient-il de ce que beaucoup d’entre elles furent primitivement exercées, en Bretagne, par des étrangers, des Bohêmes et des Juifs, que l’on désigne sous le nom détesté de caqueux. Quoi qu’il en soit, ce mépris s’enracina fortement, et il s’est maintenu partout jusqu’à nos jours.

Cependant, il faut le reconnaître, ce préjugé ne fut pas toujours un obstacle à l’avancement des arts manuels en Bretagne. La preuve en est dans les mille clochers, les mille cloîtres, les mille chapelles qui étalent, sur le sol breton, leurs prodigieuses sculptures, leurs opulentes dentelles de granit. Mais l’époque où ces édifices furent bâtis explique les merveilles de leur construction. Tous s’élevèrent au commencement du xvie siècle, au moment où la Bretagne entrait dans une de ces inspirations poétiques, plus rares encore chez les nations que chez les individus, et auxquelles on doit les chefs-d’œuvre. Ce siècle fut dans l’Armorique un siècle de virilité pour le géant populaire. Tourmenté depuis long-temps d’une ardeur comprimée, il se mit à transporter des rochers et à remuer des montagnes, pour essayer ses forces et employer son effervescence. Un besoin de mouvement, une crise d’imagination saisit subitement les masses, qui, par une réaction puissante qu’avait amenée la francisation de la noblesse, tendaient à se nationaliser davantage. Les croyances encore vivantes favorisèrent cet élan et lui donnèrent une direction religieuse. Alors les ouvriers, sortis momentanément de l’abjection dans laquelle ils croupissaient, conçurent une pensée de réhabilitation. Des confréries de picoteurs, de menuisiers, de forgerons, de couvreurs, de maçons, etc., se formèrent de toutes parts ; quinze mille ouvriers parcoururent la Bretagne, leurs outils sur l’épaule et le chapelet à la main, mêlant des