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dus à leur obscurité et au dédain public, les ouvriers sentirent leur enthousiasme leur mourir au cœur. Ils se dispersèrent tristement dans les villages, s’y établirent, et se résignant aux vulgaires labeurs qui s’offraient seuls désormais pour les faire vivre, ils oublièrent, comme un rêve de jeunesse, les jours d’exaltation et d’espérance auxquels ils avaient assisté.

À ces causes matérielles, qui expliquent la décadence des arts manuels en Bretagne, il faut enjoindre d’autres plus intimes et non moins puissantes. Beaucoup d’obstacles, venant de lui-même, s’opposent à l’avancement industriel de l’ouvrier breton. Au premier rang, il faut placer sa répugnance pour les déplacemens. Ailleurs, le compagnonage, cette franc-maçonnerie du prolétaire, facilite à l’ouvrier les voyages et lui en fait même une obligation. Chaque compagnon doit faire son tour de France, et, dans cette instructive pérégrination, se trouvant en contact avec un grand nombre de méthodes nouvelles, il dépouille nécessairement une partie de ses préjugés ; il s’inspire dans les grands ateliers d’industrie, comme l’artiste dans les galeries de Rome ou de Florence ; il s’initie à mille procédés ingénieux ; il étudie la manière des maîtres, l’imite et l’égale parfois. Peut-être même n’arrivera-t-on à une vaste éducation industrielle qu’au moyen de ces voyages de travailleurs à travers les nations civilisées. Ce sera une belle époque que celle où l’on pourra voir, au lieu de ces tristes groupes de conscrits allant livrer leur chair aux boucheries nationales, de joyeuses bandes d’ouvriers traverser les villages, portant dans un mouchoir noué à leur bâton toute leur fortune et toutes leurs espérances, en répétant gaiement leur chanson de métier. Et plus tard ces pélerins travailleurs reviendront, rapportant, au lieu de reliques saintes destinées à guérir les maladies de l’ame et du corps, quelque invention utile, toute puissante pour guérir la plus terrible de toutes les maladies humaines, la misère !… Ils reviendront en rapportant surtout l’oubli des haines nationales, car le prolétaire étranger aura frappé dans leurs mains, il aura sué et chanté, ri et souffert avec eux. Alors aussi, sans doute, un égoïsme intelligent et aveugle ne présidera plus aux rapports des républiques entre elles ; la liberté, proclamée pour tous, aura poussé du pied les barrières commerciales, et les gouvernemens auront cessé, dans leur profonde politique, de placer un cordon de douaniers entre l’homme affamé et la boutique du boulanger.

Mais en attendant que ces utopies dorées se réalisent, il reste encore bien de vieilles empreintes à effacer dans les mœurs. En Bretagne surtout, la rénovation ne pourra avoir lieu qu’au moyen d’une transformation