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de Bretagne se ranimèrent en même temps dans son ame pour l’accuser. Il devint sombre et malade. Maître Smith crut que sa tristesse n’était autre chose qu’une impatience d’amant, et les préparatifs du mariage furent hâtés. Mais la préoccupation douloureuse du jeune ouvrier ne fit que s’en accroître. Chaque jour les voix qui lui parlaient d’Yvonne, de ses anciennes promesses, se faisaient entendre plus menaçantes et l’accusaient plus hautement. Son chagrin était devenu du désespoir. Il se voyait infâme sur la terre et damné dans le ciel pour avoir trompé la jeune fille de Paimpol. Enfin, une nuit qu’il était couché dans sa mansarde, et que, dévoré par la fièvre, il s’était assoupi un instant, voilà que tout à coup un son de cloche le réveille : il prête l’oreille… ô prodige ! il reconnaît ce son ! C’est l’accent frais et lointain des cloches de Paimpol ! le même qui se faisait entendre le jour de sa première communion, le jour où il vit Yvonne pour la première fois ! Mais maintenant ces cloches ne tintent plus joyeusement comme alors ; c’est un glas funèbre qu’elles font entendre ; elles sonnent une agonie ! Pierre, éperdu, se soulève dans son lit ; il écoute encore : le bruit des cloches s’affaiblit, s’éteint dans l’espace ; il se fait un silence !… — Tout à coup, du milieu de la nuit, une voix s’élève plaintive et connue. C’est la même voix qu’il a tant de fois entendue le soir, à une fenêtre de la rue de l’Église ; et la voix chantait le sône de la Fiancée, si célèbre au pays de Tréguier.

« Ma mère, oh ! dites-moi pourquoi l’on parle bas dans la maison ; ma mère, oh ! dites-moi pourquoi les domestiques sont en deuil ; ma mère, oh ! dites-moi pourquoi vous avez les yeux rouges ?

— « Mon fils, on parle bas parce que vous êtes malade ; mon fils, le noir convient à tout le monde ; mon fils, j’ai les yeux rouges parce que j’ai pleuré sur vous. »

Pierre écoutait fasciné, perdu dans sa vision. Il lui sembla qu’il était à Paimpol, qu’il revenait de cueillir des fleurs d’aubépine au bord de la mer et qu’il entendait Yvonne chanter à sa croisée. Et par une habitude machinale et involontaire, par souvenir, il se mit à chanter à demi-voix le second couplet de la chanson.

« Ma mère, oh ! dites-moi pourquoi j’ai le cœur douloureux aujourd’hui ; ma mère, oh ! dites-moi pourquoi les chiens hurlent si tristement ; ma mère, oh ! dites-moi pourquoi le soleil ressemble dans le ciel au visage d’une veuve.

— « Mon fils, le cœur est douloureux quand il se brise quelque affection ; mon fils, les chiens hurlent quand ils sentent la mort ; mon fils, le soleil est pâle pour les enterremens. »