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INDUSTRIE ET COMMERCE DE LA BRETAGNE.

de pain noir avec lequel il fera le signe de la croix après l’avoir baisé ; et il continuera ainsi jusqu’à ce qu’un jour d’hiver, quelque pâtre en allant au champ, le rencontre au pied de quelque meule de paille, courbé en deux, les lèvres violettes, les mains raidies, et vienne dire :

— Le vieux pêcheur est mort de froid cette nuit !

Alors si la commune où il est né est riche et pieuse, elle lui fournira une châsse, et quelque vieille femme charitable fera peut-être dire une messe basse pour le repos de son ame.

Mais je n’ai parlé jusqu’à présent que des souffrances matérielles des ouvriers de notre province, parce que ce sont les seules pour le plus grand nombre ; cependant, là aussi, il est quelques privilégiés d’intelligence qui se creusent douloureusement le cœur avec la pensée. Génies mal nés qui se sont trompés de logement en venant au monde, et qui, conservant, malgré tout, leur instinct de gloire, pleurent la couronne d’épines qu’ils portent, non parce qu’elle déchire, mais parce qu’elle ne brille pas. Grâce à Dieu, ces artistes de naissance sont rares, et l’on n’a pas souvent à souffrir de l’horrible spectacle de ces ames forcées à se mutiler elles-mêmes pour tenir dans l’étroite place que leur donne le monde. Encore faut-il chercher long-temps avant de les reconnaître, car elles cachent leurs cicatrices et demeurent silencieuses. Ni plaintes, ni cris, ni imprécations, ni mépris amer. Le Breton est comme ces anciens Germains qui ne laissaient voir à leurs ennemis ni leur sang ni leurs larmes. Quand viennent les frissons de désespoir, il a d’ailleurs de sûrs moyens de les combattre. Si c’est une ame à belle trempe que n’a pas ébréchée la douleur, il marche à l’église, donne sa démission de la gloire terrestre et se fait candidat du paradis ; si, au contraire, c’est un homme dont les forces sont affaissées dans la lutte, et qui ne peut plus lever les yeux aussi haut que le ciel, il court au cabaret, boit et tue ce qui peut lui rester d’inquiètes pensées. Ainsi deux consolateurs sont toujours là pour lui : Dieu ou l’eau-de-vie. — Ailleurs, dans d’autres provinces plus civilisées, le peuple se montre plus éclairé : il n’a gardé que l’eau-de-vie.

En 1820, je me rendais à Commana, pauvre bourgade des montagnes, où je devais trouver un ami qui était venu exercer la médecine dans ce pays désolé. J’arrivais de Penmarc’h, encore tout étourdi des hurlemens de l’Océan, tout pensif du souvenir de cette ville morte, dont j’avais vu les ruines se dessiner sous un linceul de bruyères en fleur parsemé de pâles roses marines[1] ; j’avais traversé de longs sentiers, des deux

  1. Les roses pimprenelles.