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INDUSTRIE ET COMMERCE DE LA BRETAGNE.

moi, prenez la bête ; elle a belle apparence, et puisqu’on a pu vous la vendre, vous pourrez bien la vendre à un autre.

Michel résista d’abord ; mais il finit par se laisser persuader, et après force malédictions, il paya la somme promise. Bervic la recompta trois fois, l’éplucha écu par écu, se plaignit de ce que trois pièces étaient mal marquées, et empocha le tout avec de grands soupirs et de fort mauvaise grâce. On eût dit que c’était lui qui se trouvait lésé. Cependant Michel était entré dans l’auberge en maugréant ; le paysan l’y suivit, et vint se placer vis-à-vis de lui.

— Eh bien ! que veux-tu encore, voleur ?

— C’est l’usage que celui qui achète paie un coup à boire, dit le père Bervic d’un air câlin.

À ce dernier trait, nous partîmes tous d’un éclat de rire, et le Normand sortit furieux. Bervic attendit encore quelque temps, et se retira enfin en grognant.

Comme il partait, le tavernier nous le montra du doigt en secouant la tête avec une admiration profonde. — Voilà un homme ! dit-il ; il volerait un huissier, si c’était possible. Il a l’air d’un christ de carrefour ; mais c’est un démon baptisé. Cette fois encore, voyez-vous, le Normand a été battu. La doublure de grosse toile a usé le drap fin.

§ v.
Races commerçantes de la Bretagne. — Le Roscovite. — Le Pillawer.

Malgré ce que nous avons dit de l’adresse des paysans bretons, il faut reconnaître que leur caractère les rend généralement peu propres au négoce. Le manque d’activité est à cet égard un obstacle invincible. Cependant, parmi les races variées que présentent les communes de l’Armorique, il s’en trouve quelques-unes plus heureusement organisées pour le commerce.

La Bretagne fut d’abord partagée entre un certain nombre de familles douées de goûts et d’aptitudes diverses. Elles se multiplièrent et formèrent autant de tribus séparées qui, plus tard, prirent le nom de paroisses. Chacune de ces paroisses, isolée de ses voisines par ses habitudes, son costume, ses entraînemens, conserva nécessairement son caractère natif. Les mariages ne purent l’altérer, car ils ne se contractèrent que très rarement hors de la communauté, et maintenant même encore on voit peu d’alliances de communes à communes. De là les différences singulières que l’on remarque en Bretagne entre des