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pour quand je n’aurai plus de dents ! » Il poussa un long éclat de rire en prononçant ces mots, et avala le petit verre de vin-de-feu qu’il tenait à la main.

J’ai parlé des peuplades de l’Arrez comme se distinguant par leur aptitude commerciale ; les habitans de ces communes sont, pour la plupart, des marchands de fil, de miel, de suif, de toile, de papier, qui parcourent le département en faisant le courtage pour les négocians de Morlaix et de Landerneau, ou vendant au détail comme colporteurs. Rien ne les distingue des autres Bretons, si ce n’est peut-être une finesse plus aiguisée par les transactions et une instruction plus avancée. Mais, outre ces courtiers-colporteurs, les montagnes fournissent une espèce particulière de commerçans qui méritent une mention spéciale ; nous voulons parler des marchands de chiffons appelés dans le pays pillawer.

Le pillawer n’est autre chose qu’un chiffonnier nomade. C’est une sorte de bohémien modifié, mais qui ne se fait pas suivre par sa famille ; il la laisse dans une des tanières des montagnes, tandis que lui parcourt la contrée pour recueillir les guenilles qu’il doit vendre ensuite aux papeteries. Il va de ferme en ferme, de cabane en cabane, en faisant retentir, sur un ton lugubre, son cri de pillawer qui avertit les femmes au fond de leurs maisons. Il n’est point de toit de paille perdu dans les feuilles qu’il ne sache trouver, pas de bouge infect au seuil duquel il ne fasse retentir son appel monotone. C’est même aux demeures les plus humbles qu’il vient de préférence, car il sait que là il trouvera plus sûrement ce qu’il cherche. Aussi, n’en passe-t-il aucune. Il flaire de loin la misère, la suit à la trace et la saisit au gîte, avec un instinct qui semble naturel en lui. C’est un spectre familier qui vient frapper aux portes les plus misérables et jeter à ceux qui sont là une sorte d’avertissement de leur pauvreté. Aussi, on le hait et on le fuit comme un visiteur importun. Aux riches, sa présence paraît presque une injure. S’il ose s’adresser à une ferme opulente :

— Passez plus loin, dit le maître, les haillons ne sont pas ici.

— Je reviendrai plus tard, dit le pillawer avec une sorte de sombre ironie.

Il fouette son cheval, sûr de rencontrer, à quelques pas, ce qu’il demande ; car la misère n’est point si difficile à trouver. Mais là même où on l’arrête pour lui vendre quelques guenilles souillées, c’est avec une sorte de mépris soupçonneux qu’il est reçu. On lui permet rarement de s’avancer jusqu’au foyer. La marchandise lui est apportée sur le seuil, et c’est là qu’on traite avec lui. On se défie avec raison de sa