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INDUSTRIE ET COMMERCE DE LA BRETAGNE.

Marzin haussa les épaules avec le mépris obligé pour tout ce que dit un mousse.

— T’es trop bête pour comprendre, lui répondit-il.

— Mais encore ?

Marzin approcha son œil de la semelle, et l’appliqua au trou qu’il venait de faire, comme au verre d’une longue-vue.

— C’est ça, dit-il.

Puis se tournant vers l’enfant :

— Avec ça, vois-tu, moussaillon, je ne serai jamais enrhumé.

— Pourquoi pas ?

— Parce que le major a dit que ce qui enrhumait les hommes, c’était qu’ils avaient les pieds mouillés, et avec ça j’aurai toujours les pieds secs.

Le mousse resta la bouche ouverte. Évidemment il n’avait pas compris. Cependant il fut quelques momens avant de reprendre timidement :

— On dit pourtant, gabier, que quand on a des trous dans ses souliers, ça vous mouille les pieds.

— Oui, les bêtes comme toi disent ça. Tiens, regarde, ajouta Marzin avec une complaisance qui rendit le mousse tout fier ; une supposition qu’il n’y aurait pas de dallot ici sur le pont : quand il tomberait une lame à bord, ous qu’elle irait ?

— Elle resterait à bord, c’est clair, dit le mousse.

— Eh bien ! caïman, tu ne vois pas que c’est la même chose ? Quand j’embarque de l’eau dans mes souliers, l’eau reste là ; quand j’aurai un dallot à la semelle, l’eau f… le camp, et j’aurai le pied sèche. Est-ce clair ?

— C’est tout de même vrai, dit l’enfant avec admiration ; je vas faire comme vous, maître Marzin.

Le mousse s’assit près du gabier et se mit à percer ses souliers à son exemple. Quelques jours après la moitié de l’équipage avait fait des trous à ses semelles, pour éviter les rhumes, et il fallut un ordre positif du commandant pour arrêter cette singulière folie.

J’ai parlé de la gravité habituelle du matelot breton : cette gravité ne le rend ni moins original ni moins plaisant que les matelots des autres provinces ; seulement son comique est plus dans l’attitude que dans le mouvement, plus dans le silence que dans la parole. C’est un comique taciturne et sentencieux qui pousse au rire par le sérieux même. Avare de paroles, il concentre sa pensée dans une formule pittoresque. C’est une espèce de Spartiate qui a en horreur les phrases et qui n’aime à se