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REVUE DES DEUX MONDES.

Hieronimo répond à cette menace en se coupant la langue avec les dents. « Mais il peut écrire, » dit le duc de Castille. — Ici se trouve un nouvel exemple de bonhomie un peu trop niaise. — Que fait Hieronimo ? Forcé d’écrire, il fait signe qu’il a besoin de tailler sa plume. « Oh ! dit le sagace duc de Castille, il demande un canif pour tailler sa plume. — En voici un, répond le candide vice-roi ; et je t’avertis d’écrire la vérité. » Et il est tout stupéfait lorsque Hieronimo, au lieu de tailler sa plume, se sert de ce canif pour tuer le duc et pour se tuer après. — Le proverbe est justifié : du sublime au ridicule il n’y a qu’un pas.

Après une de ces marches funèbres dont on voit encore tant d’exemples dans Shakspeare, reparaissent l’ombre et la Vengeance.

L’ombre se réjouit d’avoir touché le but et de voir s’éteindre ses désirs dans les pleurs et dans le sang ; et après une récapitulation de toutes les morts de la pièce, qui sont au nombre de neuf, le fantôme se promet de demander à Proserpine la récompense de ses amis et la punition de ses ennemis. Il réserve aux premiers toutes les joies des Champs-Élysées ; et s’adressant à la Vengeance, il lui demande ce qu’ils feront des autres.

« Cette main, répond la Vengeance, les précipitera au plus profond de l’enfer, aux lieux qu’habitent seules les furies, les épouvantes et les tortures. »

« Oui, fais cela, douce Vengeance ! s’écrie le Fantôme. » — Et délivrant Ixion, Sisyphe et tous les condamnés de la fable, il les remplacera par chacun de ses ennemis.

LA VENGEANCE.

Viens, hâtons-nous de rejoindre tes amis et tes ennemis, pour rendre à tes amis le repos, et livrer le reste aux supplices ; car, quoique la mort ait terminé leur misère, c’est maintenant que je vais commencer leur tragédie sans fin.


Cette tragédie, on vient de le voir, est loin d’être un chef-d’œuvre ; mais, quoique pleine d’imperfections grossières, elle annonçait l’avenir le plus brillant à une littérature qui débutait ainsi ; elle fondait le théâtre anglais sur de larges bases ; elle ouvrait les deux battans à la vérité, à la philosophie, à la poésie