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elle cinq millions, et ses impôts ne rendent guère que douze cent mille francs au Trésor. On a long-temps débité sur la valeur de son territoire les plus fabuleuses hyperboles : les uns avaient sans doute avantage à amplifier le mérite de la conquête dont ils venaient de doter la France ; les autres à rehausser leur propre importance, en s’étayant sur celle de leur pays. Mais la possession est d’assez ancienne date, maintenant, pour qu’on ait eu tout le temps de connaître au juste quel est son prix. En exceptant le littoral oriental, et deux ou trois cantons dans lesquels l’agriculture a d’incontestables bénéfices à faire, la Corse entière n’est qu’une longue montagne, dont les deux pentes plongent de droite et de gauche, comme un toit, dans la mer : sol revêche, maigre, sans fécondité. Jamais terre de montagne ne sera terre de culture. Parce que l’on avait réussi dans des jardins, à grands frais, et avec tous les soins de la plus délicate horticulture, à faire végéter l’indigo, le coton, la canne à sucre, on n’avait point balancé à s’écrier avec enthousiasme que la Corse avait la fécondité des tropiques, et les Antilles semblaient déjà destinées à disparaître devant elle ; on étendait sans scrupule à toute la contrée la conclusion fournie par un enclos ou une caisse à fleurs, et l’on ne considérait même pas que cette découverte d’un nouveau climat équatorial avait lieu dans un pays dont les étés ne sont pas même aussi ardens que ceux du midi de la France. L’exagération trouvait sa base dans l’éloignement et dans la nouveauté. Pendant long-temps aussi le régne minéral avait contribué à fournir sa part de merveilles ; mais vues de plus près, ces mines prodigieuses, semblables aux bâtons de la fable, se sont réduites à quelques filets de plomb ne valant pas même le travail d’une exploitation, et à deux ou trois mines de fer dans des localités sans combustible. Certes la Corse, maintenant si inculte et si sauvage, deviendra plus opulente et plus prospère un jour, mais, comparativement à notre beau pays de France, ce sera toujours une terre aride et pauvre. Les pays de montagnes n’ont un service utile que lorsqu’ils sont aux frontières et servent de remparts.

Ce serait précipiter le raisonnement que de déduire des principes que nous venons d’établir que l’île de Corse est pour la France une superfétation parasite, et dont on pourrait sans inconvénient se délivrer. Il reste à examiner en effet si ce pays ne remplirait pas, relativement à la garde de notre territoire, un rôle analogue à celui des pays montagneux qui forment ses frontières. C’est là précisément que gît toute son importance. Nous ne le possédons pas parce qu’il nous est avantageux, mais parce que, hors de nos mains, il nous serait dangereux. Pour