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secondant le travail. Qu’il marche selon les temps, d’un pas lent ou rapide, qu’il s’arrête souvent, c’est sagesse ; mais malheur à lui s’il tourne le dos à l’avenir, s’il combat ce qu’il n’a que la mission de retarder. Voyez l’Angleterre luttant sept ans contre ses colonies révoltées, et finissant par signer avec elles un traité de puissance à puissance ; voyez l’Espagne ; voyez l’histoire tout entière.

C’est surtout dans notre patrie, bénie du ciel, que cet accord de la politique avec la nature devient chose simple et facile. La France est ainsi constituée qu’elle n’a point à redouter pour les autres peuples ce qui fait leur force et assure leurs développemens légitimes. Confiante et forte, elle repose sur elle-même ; elle est grande par les richesses de son sol et par son génie, par l’unité de ses parties et leur cohérence. Ce n’est point des stipulations officielles qu’elle tire cette prééminence morale que des traités malheureux ne lui ont point ôtée. Comme son avenir et sa fortune ne sont en question ni au Cap de Bonne-Espérance, ni dans l’Inde, ni aux Antilles, ni à Constantinople, les peuples comprennent qu’elle doit survivre aux révolutions, et sa médiation est acceptée avec confiance, parce que les principes de sa politique naturelle sont libéraux et désintéressés. Ce rôle a fait sa force ou ses malheurs, selon qu’elle l’a bien ou mal compris. Louis xv et Napoléon y ont été infidèles, chacun selon leur mesure, l’un en nous léguant une vaine gloire, l’autre une éternelle honte. C’est cette intervention qu’il lui appartient d’exercer dans la crise qui s’approche, et par l’autorité de sa parole et par la force de ses armes.

On a raison de lui faire envisager sévèrement les devoirs que son honneur et sa sûreté lui imposent envers elle-même et envers l’Europe. Mais si ces devoirs sont grands, ils prennent leur source dans sa position continentale, et nullement dans ses intérêts maritimes ; et si elle se préoccupait de ceux-ci, elle devrait envisager l’établissement naval de la Russie à Constantinople du même œil que la création du nouveau royaume de Grèce, combinaison sanctionnée par la bonne politique, surtout parce qu’elle aura pour résultat de créer une marine de plus dans la Méditerranée.

De toutes les erreurs, la plus grave et la plus générale, celle que les agens et les écrivains officiels de l’Angleterre s’attachent à entretenir, c’est l’identité d’intérêts qui lierait à tout jamais les cabinets de Paris et de Londres[1]. La France a mieux à faire pour prévenir les dangers

  1. Voyez surtout le livre récent intitulé : L’Angleterre, la France, la Turquie et la Russie. Cet ouvrage, dont on connaît la source, œuvre si remarquable,