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DES PARTIS ET DES ÉCOLES POLITIQUES.

des années ; et pendant ces années, peut-être longues, la Turquie d’Europe et l’Asie auront été en proie à une anarchie et à des calamités incalculables. Vous y trouverez plus de déserts encore que les Turcs disparus n’en auront laissé. L’Europe aura reculé, au lieu de suivre son mouvement accéléré de civilisation et de prospérité, et l’Asie sera restée plus long-temps morte dans son sépulcre. Si la raison préside aux destinées de l’Europe, peut-elle hésiter[1] ? »

À ces immenses changemens se lieront ceux que les évènemens préparent dans la situation de l’Europe occidentale. La Prusse et la Bavière, centre d’attraction de l’Allemagne du nord et de l’Allemagne méridionale, suivant le cours de leurs destinées ascendantes, la France combinera l’intérêt de sa sécurité avec l’intérêt permanent de l’Europe ; elle maintiendra ou modifiera des combinaisons qui ne peuvent conquérir un caractère définitif qu’autant qu’elles acquerraient la sanction de l’expérience et du temps. Si l’état territorial de l’Europe est altéré, elle n’oubliera pas que des cinq puissances, elle est la seule qui n’ait pas accru ses possessions depuis le xviiie siècle, si ce n’est de cette conquête africaine, dont la haute importance, si pauvrement appréciée dans les débats parlementaires, se rattache à l’ordre entier des faits nouveaux qui naîtront du prochain contact de l’Europe avec l’Asie.

Personne n’ignore que cette pensée d’une reconstitution de l’Europe sur la base de la renaissance de la Pologne, et d’amples compensations pour la Russie dans l’Orient, traversa souvent la tête de Napoléon. Il l’apportait à Tilsitt, et l’habile historien de ces transactions, M. Bignon, expose mieux les considérations devant lesquelles il recula, qu’il ne le justifie d’y avoir cédé dans la plénitude de sa puissance. Peut-être soutiendrait-on avec plus d’avantage que ce remaniement est si étroitement lié à la question turque, qu’il eût été impossible, même à Napoléon, de l’en séparer, et que, de son temps, l’heure n’avait pas encore sonné pour la puissance ottomane.

« J’ai pu partager l’empire turc avec la Russie ; il en a été plus d’une fois question entre nous. Constantinople l’a toujours sauvé. Cette capitale était le grand embarras, la vraie pierre d’achoppement. La Russie la voulait ; je ne devais pas l’accorder : c’est une clé trop précieuse ; elle vaut à elle seule un empire : celui qui la possédera peut gouverner le monde[2]. »

  1. M. de Lamartine. Voyage en Orient, tome iv.
  2. Mémorial de Sainte-Hélène. Avril 1816.