Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/554

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
548
REVUE DES DEUX MONDES.

Bayle ne peut s’empêcher de faire ainsi ; il s’en plaint, il s’en blâme, et retombe toujours : « Le dernier livre que je vois, écrit-il de Genève à son frère, est celui que je préfère à tous les autres. » Langues, philosophie, histoire, antiquité, géographie, livres galans, il se jette à tout, selon que ces diverses matières lui sont offertes : « D’où que cela procède, il est certain que jamais amant volage n’a plus souvent changé de maîtresse, que moi de livres. » Il attribue ces échappées de son esprit à quelque manque de discipline dans son éducation : « Je ne songe jamais à la manière dont j’ai été conduit dans mes études, que les larmes ne m’en viennent aux yeux. C’est dans l’âge au-dessous de vingt ans que les meilleurs coups se ruent : c’est alors qu’il faut faire son emplette. » Il regrette le temps qu’il a perdu jeune à chasser les cailles et à hâter les vignerons (ce dut être pourtant un pauvre chasseur toujours et un compagnon peu rustique que Bayle, et il ne put guère jouir des champs que pendant la saison qu’il passa, affaibli de santé, aux bords de l’Arriége) ; il regrette même le temps qu’il a employé à étudier six ou sept heures par jour, parce qu’il n’observait aucun ordre, et qu’il étudiait sans cesse par anticipation. Le journal, suivant lui, n’est, pour ainsi dire, qu’un dessert d’esprit ; il faut faire provision de pain et de viande solide avant de se disperser aux friandises. « Je vous l’ai déjà dit, écrit-il encore à son frère, la démangeaison de savoir en gros et en général diverses choses est une maladie flatteuse (amabilis insania), qui ne laisse pas de faire beaucoup de mal. J’ai été autrefois touché de cette même avidité, et je puis dire qu’elle m’a été fort préjudiciable. » Mais voilà, au moment même du reproche, qu’il l’encourt de plus belle ; il voudrait tout savoir, même les détails rustiques, lui qui tout à l’heure regrettait le temps perdu à la chasse ; il demande mainte observation à son frère sur les verreries de Gabre, sur le pastel du Lauragais. Il le presse de questions sur les nobles de sa province, sur les tenans et aboutissans de chaque famille. « Je sais bien que la généalogie ne fait pas votre étude, comme elle aurait été ma marotte si j’eusse été d’une fortune à étudier selon ma fantaisie.» Il complimente son frère et se réjouit de le voir touché de la même passion que lui, de connaître jusqu’aux moindres particularités des grands hommes. À propos de ses migraines fréquentes,