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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

le bon moine Amat se borne à enregistrer les faits ou à les raconter sèchement. Cependant çà et là se trouvent quelques récits plus complets, qui se présentent comme des oasis dans ce désert de sable : nous en citerons deux ou trois exemples.

Un des faits les plus singuliers de la conquête des Normands, c’est la délivrance de Salerne en 983 par quelques pélerins normands qui mirent en déroute les Mahométans : ce fut là l’origine de la célébrité des chevaliers normands en Italie, et ce qui en attira tant d’autres en ce pays. Voici comment le fait est raconté dans l’Histoire d’Amat :

« Avan mille puis que Christ lo nostre Seignor prist char en la virgine Marie, apparurent en lo monde .xl. vaillant pélerin ; venoient del saint sépulcre de Jérusalem pour aorer Jhucrist. Et vindrent à Salerne, laquelle estoit asségié de Sarrasin, et tant mené mal qu’il se vouloient rendre. Et avant Salerne estoit faite tributaire de li Sarrazin ; mès se tardèrent qu’il non paièrent chascun an li tribut à lor terme, et encontinent venoient li Sarrazin o tout moult de nefs, et tailloient et occioient, et gastoient la terre. Et li pélegrin de Normendie vindrent là, non porent soustenir tant injure de la seignorie de li Sarrazin, ne que li chrestiens en fussent subject à li Sarrazin. Cestui pélegrin alèrent à Guaimarie sérénissime principe, liquel governoit Salerne o droite justice, et proièrent qu’il lor fust donné arme et chevauz, et qu’il vouloient combattre contre li Sarrazin, et non pour pris de monnoie, mès qu’il non pooient soustenir tant superbe de li Sarrazin ; et demandoient chevaux. Et quand il orent pris armes et chevaux, il assallirent li Sarrazin et moult en occistrent, et moult s’encorurent vers la marine, et li autre fouirent par li camp ; et ensi li vaillant Nomant furent veincéor, et furent li Salernitain délivré de la servitute de li pagan.

« Et quant ceste grant vittoire fu ensi faite par la vallantise de ces .xl. Normant pélegrin, lo prince et tuit li pueple de Salerne les regracièrent moult, et lor offrirent domps, et lor prometoient rendre grant guerredon. Et lor prièrent qu’il demorassent à deffendre li chrestien. Mès li Normant non vouloient prendre mérite de deniers de ce qu’il avoient fait por lo amor de Dieu, et se excusèrent qu’il non poient demorer.

« Après ce orent conseill li Normant que là venissent tuit li principe de Normendie ; et les envitèrent ; et alcun se donnèrent bone volenté et corage à venir en ces parties de sà, pour la richece qui i estoit. Et mandèrent lor messages avec ces victorieux Normans, et mandèrent citre, agmidole, noiz confites, pailles impérials, ystrumens de fer aorné