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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

cellui camp avoit une églize de Saint-Nicholas, et moult de ceux qui fuyoient entrèrent en l’églize ; et li autre montèrent sur l’églize tant qu’il rompirent li tref et chaïrent, et tuit cil qui estoient dedens occistrent. Et puiz quant lo duc vit qu’il non pooit avoir Alixe en sa main, et vit qu’il avoit la victoire, retorna à li paveillon de ses anemis et commanda que quelconque home tochast .i. paveillon, fust riche, fust poure, sans brigue fust sien ; saus lo paveillon de Alexe, qui fu gardé pour lo duc. Et celle nuit et lo jor séquent demorèrent là o grant joie et grant triumphe, et furent moult riche de la robe de li Grex. »

En résumé, on ne peut que féliciter la Société de l’histoire de France d’avoir débuté dans ses travaux par cette publication. Non-seulement l’Histoire d’Amat, quoique reproduite en partie par les chroniqueurs qui vinrent ensuite, méritait d’être éditée, comme un monument contemporain des faits qu’elle raconte ; mais la traduction même qui nous reste, et que M. Champollion croit être du treizième siècle, est un précieux monument de notre langue. Cette traduction fut faite en Italie, et nous donne une idée de la modification que notre idiome, introduit dans ce pays par les Normands, avait reçue du voisinage de l’italien. Le traducteur, dans un de ses prohèmes, raconte comment il entreprit cette version pour plaire à un comte de Militrée (probablement Mileto, dans la Calabre ultérieure), lequel, dit-il, set lire et entendre la langue françoize et s’en delitte ; nouvelle preuve ajoutée à toutes celles que l’on possédait déjà, de l’usage presque universel de notre langue en Europe aux xiie et xiiie siècles. Brunetto Latini, Florentin, qui écrivit en français, au xiiie siècle, son Trésor encyclopédique, et Martin de Canale, Vénitien, qui écrivit aussi en français, vers la même époque, une Chronique de Venise, ne donnent pas d’autre raison de leur choix, sinon que « la lengue franceise cort parmi lo monde, et est la plus delittable à lire et à oïr que nulle autre. »

Il eût été désirable que l’on put déterminer précisément l’époque où cette traduction fut faite. Malheureusement toutes les investigations de M. Champollion à cet égard ont été inutiles. Un seul point est hors de doute ; c’est que le manuscrit qui la renferme est de la fin du xiiie siècle, ou des premières années du xive. À ce propos, nous avons remarqué une indication qui a échappé à M. Champollion. Elle est bien incertaine, il est vrai, et il est fort douteux qu’elle eût pu servir à résoudre le problème en question ; mais la remarque n’est pas sans intérêt pour l’histoire de la philosophie. Le prohème général du traducteur commence ainsi : « Secont ce que nouz dit et raconte la sage phylosofo, tout home naturalment desirre de savoir, et la raison si est ceste, etc. »