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qui servira d’introduction aux Mémoires ; puis à la suite de ces Mémoires viendront se ranger, en un ou plusieurs volumes, des biographies de Wiclef, Jean Huss, Érasme, Melanchthon, Ulric de Hutten, et autres prédécesseurs et contemporains de Luther. L’ouvrage, dans sa totalité, formera donc une sorte de galerie du christianisme tout entier.

Nous attendrons pour en parler plus au long qu’il soit terminé, ou au moins qu’une des deux parties qui doivent le compléter ait paru. Alors seulement nous pourrons savoir quelle lumière nouvelle ce livre jettera soit sur l’histoire générale du christianisme, soit sur l’histoire particulière de la réforme. Nous nous bornerons pour le moment à dire comment ont été composés les Mémoires de Luther.

Luther n’a pas laissé de Mémoires, ainsi que le ferait supposer le titre adopté par M. Michelet. Seulement, vingt-cinq ans après sa mort, un de ses disciples, Henri-Pierre Rebenstoc, ministre d’Eischerheim, publia, en 1571, un recueil des conversations familières de Luther, sous le titre de Propos de table, espèce du Lutherana où le disciple idolâtre rassembla tout ce qu’il se rappelait avoir entendu dire à son maître. Bien lui prit d’être si indiscret, car ses révélations sont des plus curieuses. Dans la suite, les controversistes catholiques s’armèrent souvent de ce livre pour attaquer et quelquefois calomnier les doctrines et la vie de Luther. Quelques protestans timorés le désavouèrent ; d’autres se contentèrent d’en blâmer la publication. C’est cet ouvrage qui a pu donner à M. Michelet l’idée de ses Mémoires. Mais M. Michelet ne s’est pas contenté de cette source ; il a réuni bien d’autres élémens : non-seulement il a consulté les divers biographes de Luther, mais il a compulsé sa volumineuse correspondance, et a cherché partout dans ses écrits les détails historiques dont il pouvait faire son profit. Il a ainsi construit un des ouvrages anecdotiques les plus intéressans qu’on puisse imaginer.

« Jusqu’ici, dit-il dans sa préface, on n’a montré de Luther que son duel contre Rome. Nous, nous donnons sa vie entière, ses combats, ses doutes, ses tentations, ses consolations. L’homme privé nous occupe ici autant et plus que l’homme de parti. Nous le montrons, ce violent et terrible réformateur du nord, non pas seulement dans son nid d’aigle à la Wartbourg, ou bravant l’empereur et l’empire à la diète de Worms, mais dans sa maison de Wittemberg, au milieu de ses graves amis, de ses enfans qui entourent sa table, se promenant avec eux dans son jardin, sur les bords du petit étang, dans ce cloître mélancolique qui est devenu la demeure d’une famille ; nous l’entendons rêvant tout haut, trouvant dans tout ce qui l’entoure, dans la fleur, dans le fruit, dans l’oiseau qui passe, de graves et pieuses pensées. »