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les opinions orientales, et près de se rapprocher des mahométans, en se faisant de nouveau arienne et nestorienne. On sent quel contrepoids il a fallu pour lutter contre cet envahissement moral qui l’a menacée pendant si long-temps, et à tant de reprises différentes. Ce contrepoids se résume dans un seul mot, la catholicité et l’inquisition. Ainsi l’Espagne a été, par nationalité, catholique et pays d’inquisition. Dans ce seul trait est peut-être toute son histoire ; et sa littérature, comme tout le reste, en a dépendu. M. Viardot a bien senti cette influence de l’inquisition, qui a empêché les sciences et la philosophie de se développer en Espagne, et qui a retenu, à bien des égards, ce pays dans une sorte d’enfance ; mais nous aurions voulu qu’il assignât à cette rigide catholicité de l’Espagne sa véritable cause, qu’il en étudiât l’origine et la formation, qu’il ne prît pas l’inquisition pour un effet du hasard, pour un malheur fortuit, et qu’une fois éclairé sur ce point fondamental du développement de l’Espagne, il jugeât de là toute sa littérature.

Chose remarquable ! tandis que le reste de l’Europe a passé uniformément par une suite de révolutions de l’intelligence bien caractérisées, la Scolastique, la Renaissance, la Réforme, la Philosophie, on peut dire que l’Espagne n’a parcouru aucune de ces périodes. A-t-elle pris en effet une part glorieuse à la Scolastique, à la Renaissance, à la Réforme, à la Philosophie ? Non ; elle n’a pas donné un seul homme illustre à aucune de ces quatre grandes catégories où se classent et se résument tous les travaux intellectuels de la France, de l’Italie, de l’Angleterre et de l’Allemagne. Que faisait-elle donc pendant que l’Europe travaillait ainsi à se transformer ? Au xiie et au xiiie siècles, au temps de la Scolastique, au temps d’Abeilard, de Roger Bacon, de saint Thomas, que faisait-elle ? Que faisait-elle pendant que l’Italie, la France, et même l’Angleterre et l’Allemagne, restauraient si glorieusement l’antiquité ? Depuis les croisades jusqu’au xviie siècle, il n’est pas de ville de l’Europe qui n’ait donné plus de travailleurs à la Renaissance que l’Espagne tout entière. Que faisait-elle encore pendant que les autres nations enfantaient toutes ces hérésies qui ont engendré le monde moderne ? Que faisait-elle pendant qu’Arnauld de Bresse, Jean Huss et Jérôme de Prague montaient à leur bûcher, au temps des libres penseurs d’Italie, ou à l’époque de Luther et de Calvin ? et lorsque est venue la philosophie, quelle part encore a-t-elle prise à cette œuvre ? Il est certain que l’Espagne n’a eu aucune part directe à ces travaux successifs de l’Europe ; elle n’a construit ni aidé à construire aucun de ces échelons sur lesquels s’est élevée la modernité. Mais seule, reléguée au bout de l’Europe, elle a eu une vie particulière et