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LE CAPITAINE RENAUD.

Polybe, Turenne, Folard et Vauban, pour m’amuser. Presque tous mes camarades ont été tués à la grande armée, ou sont morts depuis, et il y a long-temps que je ne cause plus avec personne, et vous savez par quel chemin je suis arrivé à haïr la guerre, tout en la faisant avec énergie.

Là-dessus il me secoua vivement la main et me quitta en me demandant encore le hausse-col qui lui manquait, si le mien n’était pas trop rouillé, et si je le trouvais chez moi. Puis il me rappela et me dit :

— Tenez, comme il n’est pas entièrement impossible que l’on fasse encore feu sur nous de quelque fenêtre, gardez-moi, je vous prie, ce portefeuille plein de vieilles lettres qui m’intéressent, moi seul, et que vous brûleriez si nous ne nous retrouvions plus.

Il nous est venu plusieurs de nos anciens camarades, et nous les avons priés de se retirer chez eux. Nous ne faisons point la guerre civile, nous. — Nous sommes calmes comme des pompiers dont le devoir est d’éteindre l’incendie. On s’expliquera ensuite ; cela ne nous regarde pas.

Et il me quitta en souriant.

CHAPITRE viii.
Une bille.

Quinze jours après cette conversation, que la révolution même ne m’avait point fait oublier, je réfléchissais seul à l’héroïsme modeste et au désintéressement, si rares tous les deux. Je tâchais d’oublier le sang pur qui venait de couler, et je relisais dans l’histoire d’Amérique comment, en 1783, l’armée anglo-américaine toute victorieuse, ayant posé les armes et délivré la patrie, fut prête à se révolter contre le congrès, qui, trop pauvre pour lui payer sa solde, s’apprêtait à la licencier ; Washington, généralissime et vainqueur, n’avait qu’un mot à dire ou un signe de tête à faire pour être dictateur ; il fit ce que lui seul avait le pouvoir d’accomplir, il licencia l’armée et donna sa démission. — J’avais