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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

par cette loi. M. Thiers, l’ami du peuple, le défenseur du peuple, avait déjà trouvé cinq millions à glaner sur la tête des ouvriers et des prolétaires. En vérité, c’était leur faire payer un peu cher le joyeux avènement de M. Thiers au pouvoir de juillet !

M. Laffitte prononça encore à la tribune quelques discours rédigés par M. Thiers, et présenta quelques projets de sa façon ; mais c’était à la condition que M. Thiers ne viendrait pas les défendre, car le jeune sous-secrétaire d’état déplaisait à la chambre, à cause du ton d’insouciance et de légèreté qu’il affectait. Ses longs discours, remplis de faits inexacts, de chiffres contestables et souvent contestés avec succès, ressemblaient trop à une leçon apprise, et, en général, à des articles de journaux. En un mot, la chambre traitait M. Thiers comme un homme qui vient faire de la littérature ou de l’histoire de rhéteur à la tribune ; et, plusieurs fois, le ministre des finances fut obligé de promettre aux députés de la majorité que M. Thiers ne remplirait pas les fonctions de commissaire du roi dans la discussion des projets de loi qu’il était urgent de faire adopter. M. Thiers passa tout le temps de cette session à tâter le terrain de la tribune ; mais il y faisait mauvaise figure, et ses amis politiques commençaient à désespérer de sa gloire d’orateur politique.

Cependant toutes sortes d’embarras croissaient autour du ministère présidé par M. Laffitte. Quelques-uns de ces embarras venaient de la faiblesse du ministère, des ménagemens qu’il était forcé, par sa nature, de garder envers une fraction de parti avec laquelle pourtant il avait assez rompu, pour qu’elle l’attaquât à la chambre et dans les rues par l’émeute, et qui tenait cependant encore à lui par quelques liens. À l’extérieur, le ministère Laffitte ne voulait pas la guerre, mais il ne réprimait pas la propagande. Il envoyait les émigrés espagnols, à ses frais, aux frontières, et là, tantôt il les encourageait, tantôt il les faisait arrêter et revenir en arrière. Le défaut de ce ministère, c’était de vouloir ménager ses ennemis, et de ne pas reconnaître hautement ses amis. Il n’osait pas rompre avec M. Guizot, et il refusait de s’entendre avec M. de Lafayette ; il avait le pouvoir, et il n’osait pas être puissant, même pour bien faire ; en un mot, un caractère décidé lui manquait. Chaque jour aussi l’anarchie augmentait, et Casimir