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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

l’intérieur fut alors chargée de recueillir des notes sur l’effet produit dans toutes les garnisons et dans toutes les places de guerre, par l’administration du maréchal Soult. Le maréchal lui-même eut bientôt connaissance de ces démarches ; il vit qu’on ne cherchait qu’une occasion de rompre avec lui, et l’opposition qu’il mettait à la nomination de M. Decazes à la place de gouverneur d’Alger, servit de prétexte. La séance du conseil ressembla ce jour-là à une scène de pugilat. M. Thiers reprocha au maréchal Soult jusqu’à l’exil du général Excelmans, en 1815, et son ingratitude envers M. Decazes, qui l’avait lui-même rappelé de l’exil, contre l’avis du duc de Richelieu. La bataille se termina à l’avantage de M. Thiers, et le vieux vainqueur de Toulouse se retira à Saint-Amand.

Ce fut le tour du maréchal Gérard. L’ascendant de M. Guizot avait beaucoup grandi dans le conseil ; mais il était encore loin d’être tout-puissant. M. Thiers se rapprocha de M. Guizot. Il avait eu quelques velléités de faire alliance avec M. Dupin ; mais il vit bientôt que le moment n’était pas favorable, et il remit à un autre temps ce rapprochement qui se fera quelque jour ; car M. Thiers ne renoncera jamais à cette habitude qu’il a contractée, de brocanter tous les portefeuilles ministériels, à l’exception du sien, dès que le moindre ébranlement se fait sentir.

Le maréchal Gérard devint bientôt un embarras pour M. Thiers. Les journaux, qui ont leurs jours d’habileté, avaient adopté une singulière façon de faire la guerre aux ministres. Ils louaient à outrance le maréchal Gérard. Le maréchal avait destitué quelques employés du ministère de la guerre, accusés de prévarication : on se mit à vanter avec enthousiasme cet acte d’intégrité ; mais en même temps, on disait qu’en sa qualité de président du conseil, il devait ordonner une semblable enquête dans tous les départemens du ministère, et particulièrement dans le ministère de l’intérieur. En plaçant le maréchal aussi haut, on ne manquait pas d’attaquer M. Thiers sur la facilité de ses principes, et sur les désordres que sa complaisance aveugle souffrait autour de lui. De son côté, ce qu’on nommait le tiers-parti avait accès près du maréchal, grâce à de vieilles liaisons ; on le décida à plaider la cause de l’amnistie, et l’amnistie servit à M. Thiers contre le maréchal Gérard,