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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

pas de chercher la grandeur de ceux qui n’ont pas rempli tout leur mérite, pour me servir d’une heureuse expression du cardinal de Retz ? N’est-ce pas à lui de montrer ce qu’ils eussent fait dans une circonstance favorable, d’examiner la capacité qui a réussi, et de récompenser par son éloge celle qui n’a pas pu se produire ? Le peuple seul est aux genoux des heureux. Comme historien, M. Thiers n’a rien fait de tout cela. Il admire Napoléon après Arcole et les pyramides ; s’il eût fait l’histoire de l’empire, il le dédaignerait sans doute après Waterloo. Comme ministre, M. Thiers est tout aussi incapable de découvrir un homme qui n’a pas réussi ; à la chambre, il n’a de paroles flatteuses que pour l’orateur qui vient d’avoir un succès ; s’il échoue, il oublie à la fois son influence et son mérite, et il lui tourne le dos.

En un mot c’est un sens grossier et vulgaire qui le dirige ; et son approbation même est offensante, car elle s’adresse au bonheur et non à la capacité. M. de Villèle reconnaissait les supériorités où elles se trouvaient. M. Guizot, qui est un homme d’un esprit bien autrement élevé que celui de M. de Villèle, affecte d’apprécier partout le mérite et de le distinguer. M. Thiers le hait au contraire. Il en est, je ne dis pas jaloux, mais blessé, et il semble que son propre mérite suffise à tout. M. Thiers a surtout deux prétentions très contradictoires : il y a des jours où il se figure qu’il représente l’aristocratie du régime nouveau, et il en est d’autres où il se croit le type de la démocratie de la révolution de juillet. Pour cette dernière vanité, elle lui vient chaque fois qu’il entend dire que M. Guizot et M. de Broglie représentent la restauration. Dans la discussion, au conseil, des lois du 9 septembre 1835, M. Thiers l’a emporté sur M. Guizot et M. de Broglie, qui se refusaient à toucher à la loi du jury ; n’importe, M. Thiers est l’homme de juillet ; M. Thiers, l’ennemi le plus ardent de la presse, qui tient les détenus politiques dans une captivité si rigoureuse, M. Thiers qui défendait l’hérédité de la pairie, qui prouvait que l’indépendance de l’Italie et de la Pologne est une chimère, M. Thiers est l’homme de la révolution de juillet, comme il a été l’homme de Mirabeau, l’homme de Turgot, de Necker, de Camille Desmoulins, de Robespierre, de Napoléon ! Quand ce qu’on nomme les opinions de la gauche triompheront (si jamais