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L’ESPAGNE DEPUIS FERDINAND VII.

déridé son front morose, à l’avènement d’une reine jeune, belle, avide de fêtes, peu scrupuleuse et peu formaliste en matière de plaisir. Si long-temps close et muette, la cour de Madrid avait rompu son silence funèbre ; le palais s’était rouvert aux dissipations mondaines, et la nouvelle idole, couronnée de fleurs, en avait chassé les ombres sanglantes des Riego, des Lacy, des Porlier. C’étaient tous les jours de nouvelles recherches, tous les jours de nouveaux délires ; quel prophète alors, se recueillant au milieu de cette étourdissante ivresse, eût osé prédire les résultats, pourtant si prochains, de ce bruyant hyménée ? On ne croyait inaugurer qu’une reine, on inaugurait une révolution.

Il faut le dire pourtant, et cela fait l’éloge de la perspicacité monacale, plus d’un moine eut alors, sinon le don de prophétie, du moins le pressentiment vague et sourd qu’une ère nouvelle allait commencer. Un religieux de Valence, chargé de faire à la princesse les honneurs de je ne sais plus quel vestiaire de la madone, avait remarqué avec une sorte d’effroi douloureux que toute cette sainte friperie avait médiocrement touché l’irrévérencieuse Napolitaine ; elle n’avait accordé à ces merveilles surannées qu’un regard rapide et distrait : — « Sa majesté ne resta dans l’église que quelques minutes, nous disait le vieux moine en secouant tristement la tête, et le soir elle était la première au bal ; elle y resta la dernière. » — Une reine d’Espagne préférer le bal à l’église et le laisser voir, quelle effrayante nouveauté ! quel sujet de méditation pour les cloîtres !

Une circonstance vint redoubler l’allégresse publique ; on annonça que la reine était grosse, et les fêtes furent plus brillantes, plus multipliées que jamais. Pour s’expliquer cette ardeur insatiable de plaisir qui alors s’empara de l’Espagne, il faut se rappeler qu’elle en était sevrée depuis bien long-temps ; fidèle en cela aux traditions de Philippe ii, la tyrannie sombre et soupçonneuse de Ferdinand vii avait proscrit tout divertissement public et privé. On ne pouvait danser, on ne pouvait recevoir ses amis chez soi sans une permission spéciale du monarque, qui presque toujours la refusait, car le bal pouvait être une émeute, la réunion d’amis un complot. Cette austérité violente avait jeté sur l’Espagne un voile de deuil, et malgré la fureur carnavalesque