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L’ESPAGNE DEPUIS FERDINAND VII.

et orageuse, le port est proche, et la loi de compensation a une application visible.

Ferdinand vii fut plus qu’un mauvais prince, ce fut un mauvais homme : comme homme, il eut tous les vices et pas une vertu ; comme prince, il faut remonter à Pierre-le-Cruel pour lui trouver un égal sur le trône des Espagnes ; encore le féroce amant de Marie de Padilla avait-il une résolution et une énergie que n’eut jamais son faible et versatile descendant. Ferdinand a fait à l’Espagne un mal incalculable ; il faudra les efforts réunis de plusieurs générations pour le réparer. Après les désastres d’une guerre aussi longue, aussi ruineuse que celle de l’indépendance, il fallait, pour bander tant de plaies, une main ferme, habile, une main tendre surtout et libérale. Nous disons tendre et nous insistons, car il est une erreur, une aberration singulière qui aspire à supprimer du gouvernement des hommes l’élément de l’amour, erreur impie, aberration sacrilége qu’il faut flétrir et combattre.

À force d’abstractions, à force de sophismes, on a fait de la politique humaine un monstre sans cœur, une idole de fer, qui d’une main tient un budget, de l’autre une baïonnette. Et cette charité qui édifie, cet amour sans lequel la foi n’est, comme dit l’apôtre, qu’une cymbale retentissante, on a relégué tout cela dans l’élégie et dans l’idylle. Jamais la force ne se formula d’une façon plus brutale ; jamais elle ne s’érigea si audacieusement en système ; jamais le matérialisme politique n’afficha plus effrontément son impuissante aridité. Aussi l’arbre de mort a porté ses fruits ; le lien social est brisé ; l’anarchie morale nous dévore ; la société se déchire de ses propres mains ; elle se déchirera aussi long-temps que le principe de l’amour sera opprimé, aussi long-temps que la charité n’aura pas place au sanhédrin des nations. Pour gouverner les hommes, il faut les aimer ; autrement on les exploite, on les déprave. Un pouvoir sans tendresse est le marteau de Dieu sur les peuples ; pour éveiller les sympathies, il faut les sentir ; pour agir sur son siècle, il faut avoir des entrailles. Il en avait ce fondateur du moyen-âge, ce Charlemagne, le seul de tous les monarques dont le nom soit resté vraiment populaire. Apercevant un jour en mer les voiles normandes, il se prit à fondre en larmes : — « Je pleure, » répondit-il à ceux qui l’interrogeaient,