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SHAKESPEARE.

Mille de ses beaux traits, aujourd’hui si vantés,
Furent des sots esprits à nos yeux rebutés.


Ainsi ces voyageurs voilés qui viennent de fois à autre s’asseoir à notre table, sont traités par nous en hôtes vulgaires, nous ignorons leur nature immortelle, jusqu’au jour de leur disparition. En quittant la terre, ils se transfigurent et nous disent, comme l’envoyé du ciel à Tobie : « Je suis l’un des sept qui sommes présens devant le Seigneur. »

Ces Divinités méconnues des hommes à leur passage, ne se méconnaissent point entre elles. « Qu’a besoin mon Shakespeare, dit Milton, pour ses os vénérés, de pierres entassées par le travail d’un siècle ? ou faut-il que ses saintes reliques soient cachées, sous une pyramide à pointe étoilée ? Fils chéri de la Mémoire, grand héritier de la Gloire, que t’importe un si faible témoignage de ton nom, toi qui t’es bâti, à notre merveilleux étonnement, un monument de longue vie ?… tu demeures enseveli dans une telle pompe, que les rois, pour avoir un pareil tombeau, souhaiteraient mourir. »


What needs my Shakespear, for his honor’d bones,
The labour of an age in piled stones ?
Or that his hallow’d reliques should be hid
Under a stary pointing pyramid ?
Dear son of memory, great heir of fame,
What need’st thou such veak witness of thy name ?
Thou in our wonder and astonishment
Hast built thyself a live-long monument.
................
And so sepulchr’d in such pomp dost lie,
That Kings, for such a tomb, would wish to die.


Michel-Ange, enviant le sort et le génie de Dante, s’écrie :

Pur fuss’ io tal : ........
Per l’aspro esilio suo con sua virtute,
Darei del mondo il piu felice stato.


« Que n’ai-je été tel que lui !… Pour son dur exil avec sa vertu, je donnerais toutes les félicités de la terre. »