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SIMON.

parens et à ses alliés, lesquels, pour leur part, ne purent s’empêcher de dire tout haut que la noblesse n’était pas tout-à-fait écrasée par la révolution, et que bientôt peut-être on verrait les armoiries de la famille refleurir au tympan des portes du château de Fougères.

Pourquoi la population reçut-elle cette nouvelle avec plaisir ? La famille de Fougères n’avait laissé dans le pays que le souvenir de dîners fort honorables et d’une politesse exquise. Cela s’appelait des bienfaits, parce qu’une quantité de marmitons, de braconniers et de filles de basse-cour avaient trouvé leur compte à servir dans cette maison. Le bonheur des riches est inappréciable, puisqu’en se contentant de manger leurs revenus de quelque façon que ce soit, ils répandent l’abondance autour d’eux. Le pauvre les bénit, pourvu qu’il lui soit accordé de gagner au prix de ses sueurs un mince salaire. Le bourgeois les salue et les honore, pour peu qu’il en obtienne une marque de protection. Leurs égaux les soutiennent de leur crédit et de leur influence, pourvu qu’ils fassent un bon usage de leur argent, c’est-à-dire, pourvu qu’ils ne soient ni trop économes ni trop généreux. Ces habitudes contractées depuis le commencement de la société, n’avaient pas tendu à s’affaiblir sous l’empire. La restauration venait leur donner un nouveau sacre en rendant ou accordant à l’aristocratie des titres et des priviléges tacites, dont tout le monde feignait de ne point accepter l’injustice et le ridicule, et que tout le monde recherchait, respectait, ou enviait. Il en est, il en sera encore long-temps ainsi. Le système monarchique ne tend pas à ennoblir le cœur de l’homme.

Quelques vieux paysans patriotes déclamèrent un peu contre les bastions qu’on allait reconstruire, contre les meurtrières du haut desquelles on allait assommer le pauvre peuple. Mais on n’y crut pas. La seule logique que connaisse bien le paysan, c’est le sentiment de sa force. On ne s’effraya donc pas du retour des anciens maîtres ; on en plaisanta un peu, on le désira encore davantage. Les fermiers enrichis sont de mauvais seigneurs pour la plupart ; l’économie qui faisait leur vertu dans le travail, devient leur grand vice dans la jouissance. Le journalier les trouve rudes et parcimonieux : il aime mieux avoir affaire à ces hommes aux mains blanches qui ne savent pas au juste combien pèse le soc d’une charrue au bras d’un rustre, et qui paient selon les convenances plus que selon le tarif.